[Le 4 novembre 1995, Itz’hak Rabin était assassiné. En 2010, le jour anniversaire de cet assassinat (selon le calendrier hébraïque) semble avoir connu une désaffection qui prolonge un processus enclenché il y a quelques années déjà.

C’est là l’occasion – le prétexte ? – pour que certains proposent de mettre un terme à cette commémoration, souhaitant la remplacer par la célébration d’une “Journée de la démocratie” plus consensuelle. Ministre de l’Immigration et de l’Intégration dans le gouvernement Rabin et membre du cabinet politique en charge des questions de sécurité, Yaïr Tsaban s’élève ici contre cette proposition. I. R.]


La vérité doit être dite : adversaires politiques d’Itz’hak Rabin ou opposants à la paix ne sont pas les seuls à pousser à la transformation du “Jour du souvenir” de l’assassinat de Rabin en une “Journée de la démocratie” (“capable de rassembler le peuple”) prenant ses distances avec la controverse politique (“qui divise le peuple et sème haine et querelles”) suscitée par l’occupation.

Il faut faire preuve d’une bonne dose de naïveté et de capacité à se voiler la face pour y croire. Car le noyau dur de ce qui nous oppose les uns aux autres, s’agissant du compromis avec nos voisins palestiniens, réside non seulement dans notre rapport à l’Autre, l’étranger, le goy, l’Arabe, le Palestinien, mais aussi dans la peur qu’il nous inspire. Il est illusoire de croire qu’il suffirait de “neutraliser” cette controverse maligne accompagnant la commémoration de la mémoire du dirigeant assassiné par un être détestable pour pouvoir nous rassembler autour du miracle de la démocratie.

Il ne suffit pas, en effet, de “célébrer et magnifier la démocratie” pour gommer les différends qui nous opposent quant à notre relation à l’Autre. Ils ne s’en trouveront, au contraire, qu’exacerbés dans leurs dimensions politiques, idéologiques et émotionnelles. Si ceux qui souhaitent “encenser la démocratie” n’envisagent pas de nous prendre pour des sots en ressortant la vieille antienne de la haine gratuite et fratricide responsable de la destruction du Second Temple, s’ils se concentrent sur les dangers réels qui guettent la démocratie, ici et maintenant, ils ne pourront éviter de se pencher sur la punition que constitue la haine qui nous divise.

Car si danger il y a qui menace sur le long terme notre régime démocratique, il trouve sa source dans la continuation de l’occupation. Dans l’immédiat, cependant, les dangers majeurs résident essentiellement dans la question de nos relations avec les Arabes palestiniens citoyens d’Israël. Leur dénominateur commun est le racisme évident qui se nourrit de la haine de l’Autre, et la peur qui l’inspire.

Dans ces conditions, quelle “union nationale“ pouvons-nous constituer autour de la lutte pour la démocratie ? Ce leurre trouve son pendant lorsqu’on nous rabâche qu’il nous faut d’abord faire la paix entre nous avant de l’instaurer avec nos voisins. C’est un syndrome bien connu dans l’histoire des conflits nationaux et des tensions entre une majorité et diverses minorités ethniques.

Au cœur de l’incitation meurtrière qui a précédé l’assassinat de Rabin était l’argument selon lequel ce dernier “s’appuyait sur les députés arabes pour livrer des parcelles du pays à l’OLP”. Aussi ai-je jugé bon de rappeler à la Knesseth, bien avant que le meurtre ne soit commis, l’épisode suivant. En 1922, en Pologne, il y eut des élections. Les quatre minorités qui représentaient près de 40% de la population ont fait front commun. Les listes des Ukrainiens, des Biélorusses, des Allemands et des Juifs ont remporté de nombreux sièges. La polémique et l’incitation à la haine faisaient rage, principalement contre les Juifs. En Pologne, comme en Israël, le président est élu par le Parlement. Au final, et grâce au soutien des minorités, Gabriel Narutowicz, le candidat du Centre, a été élu. La droite se lâcha alors et le principal mot d’ordre fut “Narutowicz, président des Juifs !” Quelques jours après avoir prêté serment, il fut assassiné par un nationaliste fanatique.

L’enseignement est clair : la haine à l’égard de l’étranger s’exacerbe dès lors qu’elle vise un membre de son propre peuple défendant l’étranger détesté ou, pire encore, agissant de concert avec lui.

La conclusion qui en ressort est qu’il n’y a pas la moindre chance d’établir “la paix du foyer” tant qu’il reste profondément divisé à propos de l’étranger, tout particulièrement si ce dernier est assimilé à l’ennemi. Ainsi, seule l’obtention de la paix avec l’étranger permettra d’atténuer les haines intestines.

Aussi ne peut-on s’exonérer de l’obligation de tirer les enseignements politiques d’un assassinat destiné à mettre un terme au processus de paix et qui a, pour le moment, atteint son but : à plus long terme, impossible de distinguer entre la défense de la démocratie, la lutte contre le racisme et celle contre l’occupation et pour la paix. Toute “Journée Rabin” qui ne serait pas conçue dans cet esprit ferait fi de la principale leçon que nous impose cet assassinat.