L’établissement scolaire, collège et lycée, devient l’un des terrains privilégiés d’affrontements entre jeunes faisant écho au conflit israélo-palestinien. Au delà et à l’opposé de la simple polémique, les prises de position au sujet des événements du Moyen-Orient sont marquées par des passages à l’acte – agressifs ou défensifs – allant du repli et l’exclusion à la violence verbale ou physique.

La compréhension profonde de ce phénomène, c’est-à-dire la compréhension des raisons de l’importation du conflit israélo-palestinien dans les écoles françaises, ainsi que la question de savoir pourquoi ce conflit plus que d’autres est source de réactions si fortement émotives, relève d’une sociologie et d’une psychologie particulières. Il appartient à la pédagogie d’apporter des réponses à la nécessité d’un accompagnement spécifique et aux difficultés qui se posent quotidiennement au corps enseignant qui, appelé par son rôle et par sa mission à réagir, à canaliser, à modérer, et à défaut de lignes directrices en est en quelque sorte réduit à improviser.

Il semble clair que la question éducative au sujet du conflit israélo-palestinien ne peut pas être séparée de la question plus générale relative aux diverses et nombreuses formes d’incivilités existantes. Si ce problème que l’on nomme de manière générale « la violence à l’école » est l’objet d’efforts pour lesquels se profile le nom d’éducation à la paix ou de pédagogie de la paix et s’il existe à ce sujet une littérature abondante, les initiatives et les textes visant le chapitre particulier relatif au conflit israélo-palestinien font défaut.

Le phénomène créé par le conflit israélo-palestinien contient des éléments qui lui sont spécifiques : il fissure la société française, il dérive vers le rejet total de l’autre, il suscite chez certains une valorisation romantique ou héroïque de l’action terroriste. Lourd de ces conséquences, ce chapitre exige que des efforts créatifs soient déployés afin de définir une pédagogie spécifique et d’en établir les principes et les contenus.

D’un point de vue général toute pédagogie énonce des fins et des moyens.

Le problème des fins repose sur des convictions de fond de nature philosophique : sur une conception du monde, de la société ou de l’homme. Ces conceptions ne sont pas à inventer, puisqu’il s’agit des valeurs bien en place dans la société française; dans ces grands traits il s’agit des valeurs de la société républicaine, de la liberté de pensée, et des droits de l’homme.

Quoique complexes dans leur réalisation concrète, ces principes de base appliqués au conflit israélo-palestinien s’énoncent simplement : la reconnaissance d’Israël comme l’état du peuple juif et le droit des Palestiniens à un État indépendant où pourra être mis un terme à la détresse des réfugiés. Cet énoncé constitue un axiome. La conception de l’action pratique qui émane de ces grands principes en est une autre : elle repose sur la perception que les éléments en jeu ne sont pas des abstractions mais des hommes et par suite que la rectification est préférable aux bouleversements violents et les réformes aux cataclysmes; éviter les effets dramatiques à l’égard des individus et des sociétés est un objectif inextricablement lié à la recherche des possibilités de coexistence et tout aussi important, ces deux éléments faisant partie de la définition même de la paix.

C’est donc au creux de ces principes fondamentaux qu’agit une pédagogie.

Se situant à un point de départ où la propagande tient lieu de savoir et où le besoin d’action est livré à la spontanéité, une double exigence théorique et pratique s’impose à l’éducateur : la transmission dépassionnée de connaissances et la canalisation de l’action vers des formes positives d’engagement.

Du point de vue théorique, l’Histoire semble tout naturellement la première discipline à devoir être mobilisée; elle fournit les repères indispensables pour aider à suivre l’actualité : l’exposé chronologique des faits et de l’origine du conflit montre avant tout la complexité des enjeux et rend possible la nuance, c’est à dire le premier frein à la réaction purement émotive. Sur le plan documentaire, une formation s’impose concernant l’importance de la source d’information et la nécessité d’évaluation de celle-ci.

L’instruction civique, la philosophie, la littérature et même les disciplines scientifiques sont susceptibles à des degrés divers d’imaginer des contenus adaptés à ce but général.

Mais c’est surtout la volonté d’action qui anime les jeunes : elle est canalisée par une pédagogie de la paix appliquée au problème du Moyen Orient vers des formes concrètes d’engagement qui sont des activités communes.

L’idée de partenariats à trois termes entre lycées ou collèges français-israeliens-palestiniens semble particulièrement adaptée pour porter ces initiatives.

À la base de ces actions un pari : celui de franchir la distance qui sépare de « l’autre ». Devenu une sorte d’associé ou de partenaire dans un but commun, cet « autre » lointain prend une dimension concrète; son altérité abstraite devient moins absolue et partant moins menaçante. Les différentes appartenances des élèves français ne sont pas des barrières mais des ponts lorsque les particularités culturelles qui en émanent sont autant d’éléments pouvant être mis au profit pour la réalisation du projet commun.
Un vaste champ s’ouvre à l’imagination pour concevoir de tels projets : qu’ils soient scientifiques, culturels sportifs ou artistiques, il est important que ces projets, mis au point à distance dans un premier temps et mettant à profit les techniques modernes de communication, soient matérialisés dans une réalisation concrète, donnent lieu à des rencontres et soient appréciés par un public.

Il est permis d’espérer que les élèves trouvent dans ces engagements positifs qui remplacent le combat de l’autre par l’action avec l’autre de vraies sources de motivation. Il s’agit en quelque sorte d’un « jeu de rôles grandeur nature » qu’enseignants et élèves sont appelés à jouer et à défendre. Ces activités en commun ne constituent pas seulement des exercices de démocratie ni de simples preuves de bonne volonté ou de bonnes intentions : elles tendent des passerelles concrètes et réelles; celles-ci n’ont donc pas une valeur seulement ou purement symbolique; elles constituent des acquis partiels significatifs en vue d’acquis majeurs de dimension historique.

Voici comment on peut exprimer l’esprit d’une pédagogie de la paix appliquée au conflit israélo-palestinien. Il va de soi que, au delà de ce conflit précis et de ses conséquences dans le milieu scolaire français, l’éducation à la paix a une portée plus générale et constitue une nécessité en soi pour structurer les esprits dans le sens d’un comportement civique responsable; l’action responsable et libre n’étant pas l’action livrée à elle-même, ni non plus un diktat, mais l’acte spontané éclairé et guidé par les valeurs culturelles et philosophiques de la société.