Yediot Aharonot, 1er avril 2007

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Un jour, début 1971, le secrétaire d’Etat américain William Rogers téléphona à David Ben Gourion pour lui demander de parler au premier ministre de l’époque, Golda Meir, et d’essayer de la convaincre de prendre au sérieux l’initiative égyptienne de paix avec Israël.

Ben Gourion avait 85 ans et s’était retiré dans son kibboutz Sdeh Boker. Usé par l’âge et les années de débats et de déceptions, il avait décidé de se retirer de la vie politique. Ses relations avec Golda n’étaient pas bonnes, et il n’avait pas une grande envie de lui parler.

Rogers le supplia. L’initiative égyptienne était opportune, dit-il, mais Golda ne la prenait pas au sérieux et la repoussait avec mépris. Elle vous admire, peut-être vous écoutera-t-elle. Ben Gourion céda et demanda à ses collaborateurs d’appeler Golda à Jérusalem.

Cette courte conversation fut tumultueuse. Ceux qui étaient présents dans la pièce entendirent Ben Gourion expliquer plusieurs fois à Golda pourquoi elle devait engager des discussions avec l’Egypte, sur la base de propositions qui donnaient une chance de conclure la paix en échange du retrait israélien du SinaÏ. Sans entendre Golda à l’autre bout du fil, il leur parut clair qu’elle ne manifestait aucun intérêt pour l’initiative de paix égyptienne.

Ben Gourion perdit patience, accusa Golda de mener Israël au désastre, et mit fin à la conversation. Mais, pour une raison inconnue, il plaça le téléphone sur la table sans raccrocher. Les témoins purent alors entendre Golda appeler « Ben Gourion, Ben Gourion! », mais il refusa de la reprendre au téléphone, et dit sombrement : « Bientôt, une guerre va éclater. » La suite appartient à l’histoire.

Les comparaisons historiques sont en général peu valides, mais néanmoins, on ne peut s’empêcher d’être fasciné par les ressemblances entre la démarche égyptienne d’il y a plus de 35 ans et l’actuelle initiative saoudienne. Aujourd’hui comme hier, ceux qui prennent les décisions chez nous sont des politiciens sans aucune vision, la coalition dépend de petits partis ayant chacun leurs intérêts propres, et il existe un fossé immense entre l’arrogance des chefs militaires israéliens et l’état d’impréparation de l’armée à la guerre. Encore aujourd’hui, l’éthos de la domination des territoires occupés est plus fort que l’idée des droits de l’homme.

« Mieux vaut Sharm el-Sheikh sans paix qu’une paix sans Sharm el-Sheikh » [[Sharm el-Sheikh, situé au sud de la péninsule du Sinaï, offrait une position stratégique sur le canal de Suez et sur la mer Rouge. Signalons, pour l’histoire, que Dayan changea d’avis et fut parmi ceux qui négocièrent avec Sadate la paix avec l’Egypte en échange du retrait du SinaÏ (y compris de Sharm el-Sheikh, bien entendu).]], déclara avec arrogance le ministre de la défense d’alors, Moshe Dayan, et il encouragea la colonisation sur une grande échelle du Sinaï et de la bande de Gaza. L’intransigeance de Golda et de Dayan provoqua l’échec de l’initiative égyptienne. La guerre du Kippour n’était pas loin.

De leur génération, Rogers et Ben Gourion n’étaient pas les seuls. La lecture des journaux de l’époque montre que beaucoup d’Israéliens avaient compris que l’offre égyptienne constituait une occasion de faire la paix avec l’Egypte, et que son rejet conduirait à la guerre.

Mais un coup d’oeil à l’histoire montre qu’un dirigeant aveugle qui mène de façon idiote son peuple à la guerre est bien plus fréquent qu’un dirigeant lucide qui sait reconnaître une opportunité politique et conduit son peuple vers la paix. Golda et Dayan faisaient partie des aveugles, et même le grand Ben Gourion ne sut leur ouvrir les yeux.

Aujourd’hui, l’initiative saoudienne offre au Moyen-Orient une nouvelle et rare occasion, et une fois encore, les dirigeants israéliens seront jugés par l’histoire.