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Ha’aretz, 26 janvier 2007

Trad. Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Dans la montée depuis Beit Zait vers Mevasseret Tzion, mes mains transpiraient tellement qu’elles commençaient à glisser sur le volant. Je conduis lentement, je vais en finir avec la montée, puis avec la descente vers Abou Gosh, et je vais pouvoir me permettre de conduire d’une main et me sécher le visage au vent de l’air chaud.

Elle doit avoir remarqué que je transpire, elle est assise à droite derrière moi et elle peut donc très bien me voir. Je devrais peut-être lui dire quelque chose, la rassurer. Maintenant, elle a probablement peur, elle aura remarqué que quelque chose ne va pas, que j’ai le front trempé et les mains qui tremblent.

Je descends lentement, sur la voie de gauche. Une Jeep me serre à l’arrière et me fait des appels de phares nerveux. Mes mains semblent pétrifiées et je n’arrive pas à me ranger à droite. La Jeep me dépasse par la droite en klaxonnant, et je suis sûr que si j’avais tourné la tête à droite, j’aurais vu les insultes sur les lèvres du conducteur. Il faut que je me calme, que je respire profondément et que j’arrive à terminer entier ce trajet d’une heure.

Je ne comprends pas ce qui m’est arrivé. En général, je suis en pleine forme quand je pars seul de Jérusalem à Tel-Aviv. J’aime prononcer la phrase : « J’ai un rendez-vous de travail important à Tel-Aviv. » Quand j’ai ce déplacement à faire, je m’assure que toutes mes connaissances soient au courant, je peux bavarder avec ma mère, qui n’appelle que pour prendre des nouvelles de nous, et lui glisser ; « Bon, demain, je vais à Tel-Aviv, j’ai une réunion de travail. » Quelque part, ces rares déplacements à Tel-Aviv me donnent le sentiment que j’ai une carrière.

Un voyage à Tel-Aviv est un rituel. Je porte toujours les mêmes vêtements, un pantalon noir et une chemise bleue à carreaux achetée spécialement chez Ralph Lauren. Les voyages en voiture du matin à Tel-Aviv ne m’énervent pas. Je suis aussi calme que possible, les infos sur la circulation, que reçois en général à chaque fois que suis à Shaar haGaï [environ à la moitié du trajet, ndt] qui parlent « d’encombrements depuis Ben Gourion en passant pas Kibboutz haGalouyot » [intersections rituellement encombrées le matin, ndt] ne m’effraient pas. Je les aime, ces bouchons, j’aime me sentir une fois par mois faire partie de cette vague de gens qui travaillent et qui tentent d’atteindre la grande ville. J’aime regarder le modèle de leur voiture, essayer de deviner ce qu’ils font, combien ils gagnent, combien ils ont d’enfants. Et, par-dessus tour, j’aime penser qu’eux aussi, comme moi, essaient de deviner combien je gagne par mois et où je travaille.

Dans ces bouchons, je suis déguisé en quelqu’un d’autre, quelqu’un à la tête d’une équipe de développeurs, mais différent, spécial. Sur la route de Tel-Aviv, je mets toujours le lecteur de CD, en général des groupes des années 80. J’ouvre toujours la fenêtre, même les jours les plus froids, et j’imagine que cette musique inhabituelle à moi arrive aux oreilles des conducteurs autour de moi, qu’ils l’apprécient sans pouvoir l’identifier, qu’ils essaient de deviner ce que c’est et qu’ils admirent ce chef d’une équipe de développeurs à chemise bleue qui aurait pu être musicien mais qui a choisi le hi-tech.

Je ne comprends pas ce qui m’est arrivé ce matin. Alors que je venais d’émerger du bouchon à la sortie de Jérusalem, alors que tout allait commencer, sans y penser, alors que je ne suis pas quelqu’un de particulièrement gentil, je me retrouve braquer soudain à droite, freiner brutalement et m’arrêter pour une jeune auto-stoppeuse qui tendait le bras à la sortie de la ville. C’est peut-être mon CD des Velvet Underground que j’étais sûr d’avoir perdu et que j’avais retrouvé sous le siège qui m’avait ramené au temps du lycée, je ne sais pas. Cheveux longs et bouclés, des habits à fleurs, c’est tout ce que j’ai remarqué. Je n’ai même pas regardé son visage. « Tel-Aviv? », demanda-t-elle, j’ai fait oui de la tête, les yeux baissés.

Maintenant, elle est assise à l’arrière, probablement morte de peur. Et je sens les gouttes de sueur couler sur ma chemise bleue. Je vais peut-être lui dire quelque chose, pour la rassurer. Mais que puis-je lui dire? « Ecoutez, je suis un type bien, je ne vais pas vous kidnapper », cela ne ferait que l’effrayer encore davantage. Elle n’a pas dit un mot depuis qu’elle est entrée dans la voiture, et moi non plus. J’aurais dû lui dire ce que j’étais avant qu’elle ne soit entrée, alors, c’est elle qui aurait choisi. Maintenant, il est trop tard.

J’essaie de me convaincre : j’ai l’air normal, un type avec une famille, sur le siège à côté de moi il y a un siège pour enfant, et un autre derrière moi, pour ma fille. Alors, pourquoi ne parle-t-elle pas? Pourquoi ne desserre-t-elle pas les dents? Je regarde dans le rétroviseur, mais je ne vais pas me retourner pour vérifier l’expression qu’elle a, cela ne ferait qu’augmenter son angoisse, et peut-être que si je me retournais comme cela, cela me vaudrait le jet d’un produit comme en ont les auto-stoppeuses dans leur sac pour se défendre. Je serais aveuglé un instant, je perdrais le contrôle et je me retrouverais versé dans le wadi, et dans le meilleur des cas, on écrirait que je suis un pervers. Je ne vais pas me retourner, je vais me concentrer sur ma conduite. Peut-être même ne sait-elle rien? Peut-être lit-elle un livre, là derrière, et c’est pour cela qu’elle se tient si tranquille, ou peut-être s’est-elle endormie, après tout, il est tôt pour une jeune fille. Si seulement elle pouvait dire quelque chose, juste quelque chose comme « qu’est-ce qu’il fait chaud ! », ou bien « je peux fumer? ». Mais rien. Je suis pratiquement sûr que maintenant, elle a trouvé un dessin, une lettre ou une histoire que ma fille aura laissés là. Elle laisse toujours des trucs. Je lui redirai plus tard, combien de fois lui ai-je dit de ne rien laisser dans la voiture, mais elle est têtue.

La fille à l’arrière a probablement remarqué. Je l’entends tapoter sur les touches de son portable. Elle a probablement peur d’appeler et elle préfère envoyer un SMS ou, pour être plus précis, un SOS. Comment me suis-je fourré là-dedans, bon Dieu, d’où est-ce que ça m’est venu? Il doit déjà y avoir des voitures de police en route. Je vais conduire lentement et surveiller la route pour pouvoir m’arrêter immédiatement si nécessaire, parce que ces types-là aiment bien tirer. Si je m’arrête, je ne ferai aucun mouvement suspect, je laisserai mes mains sur le guidon, je freinerai fort, ils pourraient toujours dire que j’ai essayé de m’enfuir.

Dans le bouchon en approchant de Tel-Aviv, je me sens un peu mieux. Nous sommes entourés d’autres voitures, nous roulons lentement, si elle avait eu peur, elle aurait pu crier, ou même ouvrir la portière et se sauver.

« Vous êtes pour la paix (shalom »? Je m’immobilisai presque en entendant sa voix de l’arrière.

« Bien sûr, très très. Je suis contre la violence sous toutes ses formes, je condamne tous les genres de belligérance, je pense que nous devons vivre… »

J’entends un petit rire et je me retourne vers elle. C’est seulement maintenant que je la vois, souriante, avec des fossettes. « Hé, relax, chéri », rit-elle, « je demandais simplement si vous passiez par Shalom » (l’une des sorties du périphérique de Tel-Aviv).