Ha’aretz, 25 octobre 2007

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Au douzième anniversaire de l’assassinat, l’assassin suscite plus d’intérêt que la victime. Qu’est censée faire la fille de la victime du cadeau reçu pour cet anniversaire [[Enregistrement des aveux de l’assassin de Rabin, Ygal Amir, quelques heures après son arrestation. Il y dit notamment : « J’avais décidé de le tuer, et je ne regrette rien. Je me suis approché de lui avant qu’il ne monte dans sa voiture, et j’ai tiré trois balles. » Interrogé sur des regrets éventuels, Amir a répondu : « Dieu m’en préserve. » La police a remis la cassette à Dalia Rabin-Pelosof, fille d’Itzhak Rabin, qui l’a diffusée dans plusieurs médias. ]]? Quel dommage que le chef de la police ne lui ait pas offert d’autres enregistrements, qui en apprendraient beaucoup sur l’implication de politiciens et de rabbins dans ce qui a préparé le terrain (dans les cœurs et les esprits) de l’assassinat. Dans leur hâte de faire le mal, ils ont désigné la cible. Mais jamais la police ni le Shin Bet ne les ont interrogés. Il n’y a donc pas de cassettes.

Lesdits politiciens et rabbins cachent aussi depuis lors son héritage, et pour clamer leur innocence et dire « nos mains n’ont pas fait couler le sang », ils prétendent que Rabin n’a laissé aucun héritage.

Mais bien sûr qu’il a laissé un héritage, et pas seulement les accords d’Oslo. Que la mémoire s’ouvre, que les choses s’écrivent, que les os revivent pour un moment.

Itzhak Rabin n’était pas bon prêcheur, ni bon professeur, mais il savait la pratique. Peut-être est-il le dernier à avoir mis en pratique ce qu’il prêchait, et cela, aussi, est un héritage. Il n’a jamais fait de l’éducation une priorité absolue, mais il fut le seul premier ministre à essayer d’améliorer le système. Lui et sa ministre de l’éducation d’alors, Shulamit Aloni, n’ont pas voulu enterrer le système, mais lui redonner vie. Ils ont infusé des millions de shekels dans ses artères, avant que les fonds s’assèchent. Si les salaires des enseignants n’avaient pas été augmentés il y a dix ans, les enseignants israéliens devraient peut-être aujourd’hui aller à la soupe populaire.

Rabin, qui venait de l’establishment militaire, avait compris que la sécurité nationale repose sur l’éducation. On peut tout acheter à l’étranger, expliquait-il, y compris des avions et des tanks, mais il n’existe qu’un seul produit totalement local : la personne israélienne. C’était là son héritage. Dommage qu’il n’ait pas d’héritiers. Mais c’est notre problème, pas le sien.

Rabin a-t-il changé de point de vue en arrivant au pouvoir ? A-t-il adhéré au Meretz ? Pas du tout. Il se trouve qu’il connaissait l’armée mieux que les autres, qui savaient comme lui qu’une bonne armée ne constitue pas une garantie de victoire perpétuelle. Une armée ne peut pas être soumise à des épreuves superflues, car la dissuasion est davantage une affaire de silence que de démonstration. Le Ehoud Olmert du Liban n’est pas un héritier.

Cela fait 50 ans que non seulement l’armée, mais la nation tout entière, m’a-t-il dit un jour, bandent leurs muscles sans discontinuer, sans possibilité de les soigner pour retrouver de la force. Et des muscles soumis perpétuellement à la tension finissent par se fatiguer. Un premier ministre a le devoir d’examiner soigneusement toute occasion, même celle qui semble la plus irréaliste, afin de voir s’il est néanmoins possible de parvenir ne serait-ce qu’à une trêve provisoire. Rabin était prêt à renoncer au Golan, j’en suis témoin. Ehoud Barak est-il son disciple ? A en juger par des signes récents et révélateurs, la réponse semble être non.

Toujours à propos d’héritage : quand son compte bancaire à Washington a été révélé (faute vénielle – quelques milliers de $, ndt), il aurait pu rejeter la responsabilité sur sa femme, rester au pouvoir, mais il a préféré démissionner. Même s’il n’était pas coupable, il a jugé qu’il était responsable, et il n’a pas voulu imposer sa responsabilité personnelle à sa famille. Ariel Sharon n’était pas non plus son héritier, n’en déplaise à ses thuriféraires.

Rabin a laissé un héritage important qui, à ce jour, n’a pas d’héritiers. En l’absence d’héritiers, on est parfois assailli par le doute : l’héritage existe-t-il, ou bien l’avons-nous inventé ?

Les héritiers naturels, les « enfants aux bougies » [[Dès la nuit qui a suivi l’assassinant de Rabin, des milliers de bougies ont été allumées sur la place où il avait été tué. Des jeunes (et des moins jeunes) se relayaient constamment. Ce phénomène a duré plusieurs années.]], qui étaient censé être les gardiens de la flamme, se sont éteints, eux aussi, comme un feu de paille. Leurs dirigeants politiques ont été les premiers à les trahir. Et aujourd’hui, au lieu d’avoir « une génération entière [qui] exige la paix », nous avons une génération apathique, dont les exigences ne sont pas claires, si tant est qu’il leur reste un rêve. Chacun pour soi, et en particulier, chacun s’occupe de ses biens et de ses affaires, à la manière des faux dirigeants. Après avoir fait leur deuil, ils ne s’en sont jamais vraiment remis.

Il fut un temps où je pensais que Rabin était la personne la plus vivante d’entre nous [Yossi Sarid n’était pas le seul. Pour qui apprécie les articles grinçants – et drôles – , voir « Rabin premier ministre » [. Article de Doron Rosenblum, qui date d’avril 2004. Malheureusement, plus de 3 ans après, il n’y a pas une virgule à changer.]]. Aujourd’hui, je pense que c’est le défunt le plus mort.

Seuls les jeunes, la génération à venir, pourront surgir du désert, du silence, et réinsuffler la vie au défunt et à son héritage.