The Globe and Mail, 30 décembre 2008

Traduction. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


« Pourquoi vous, une Arabe, n’écrivez-vous pas sur Gaza ? »

Les messages ont commencé à arriver peu après que les bombardements israéliens sur Gaza eurent tué près de 300 Palestiniens. Implicitement, on me pressait de tracer la ligne : le Hamas, c’est bien, Israël, c’est mal. Dites-le ! Dites-le ! Sinon, vous n’êtes pas assez arabe, pas assez musulmane, pas assez !

Mais que dire d’un conflit qui, depuis 60 ans, nourrit le sentiment des Arabes et des Israéliens d’être des victimes et leur attente que tout s’arrête et qu’on fasse attention à eux, car que vaut un massacre ailleurs, au Congo ou au Darfour, comparé à leur sort ? Tout n’a-t-il pas été déjà dit ?

Et puis, le suicide d’un cycliste en Irak a déclenché quelque chose en moi qui m’a décidé à écrire, pour pleurer la faillite morale née de l’amnésie qui sévit au Moyen-Orient.

Dimanche dernier, un homme sur une bicyclette s’est fait sauter lors d’une manifestation anti-israélienne dans la ville irakienne de Mossoul. Cette technique, légitimée par des dirigeants religieux dans le monde arabe en tant qu’arme contre Israël, s’est détraquée et s’est retournée contre des Arabes qui manifestaient contre les bombardements israéliens sur Gaza.

Ce cercle vicieux, qui se termine dans les rues de Mossoul, ne peut être compris qu’en paraphrasant Karl Marx : Israël est l’opium du peuple. Comment expliquer autrement l’amnésie collective qui frappe le Moyen-Orient ?

Tzipi Livni, la ministre israélienne des affaires étrangères, a-t-elle oublié qu’il y a à peine un an, elle avait failli se débarrasser de son premier ministre Ehoud Olmert pour sa gestion catastrophique de la guerre d’Israël de 2006 au Liban, déclenchée dans des circonstances furieusement similaires à celles qui ont précédé le bombardement de Gaza ? Et pourtant, elle fait le tour des médias américains en expliquant pourquoi Israël devait agir contre le Hamas. Israël veut-il faire du Hamas des héros, comme il l’a fait avec le Hezbollah ?

Tiens, et en parlant du Hezbollah : Hassan Nasrallah a-t-il oublié que, alors qu’il fulmine contre l’Egypte qui contribue au blocus de Gaza, il vit dans un pays (le Liban) qui garde plusieurs générations de réfugiés palestiniens dans des camps qui sont des prisons virtuelles ?

Et les manifestants en Jordanie et au Liban ? Qui leur rappellera qu’en 1970, la Jordanie a tué plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens en tentant contrôler des groupes palestiniens (épisode connu sous le terme de Septembre Noir, ndt), forçant ainsi l’OLP à s’exiler au Liban où, en 1982, les milices phalangistes, des Libanais chrétiens, ont massacré 3 000 réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila ?

Pas un seul phalangiste n’a répondu de ce massacre. Une commission d’enquête israélienne, en 1983, a reconnu Ariel Sharon, alors ministre de la défense, indirectement responsable des tueries perpétrées lors de l’invasion du Liban par Israël en 1982. Mais vous pouvez être tranquilles : il n’y aura pas d’enquête arabe. C’est Israël qui donne un sens à notre victimisation. Les horreurs que nous nous infligeons les uns aux autres ne comptent pas.

Il est difficile de critiquer les Palestiniens au moment où tant d’entre eux ont trouvé la mort ces derniers jours, mais les maîtres du Hamas de Gaza ne sont que les derniers d’une longue liste de leaders à démolir leur cause. Pour ceux d’entre nous qui regrettons que la religion ne soit pas séparée de la politique, le Hamas a confirmé nos craintes : les islamistes se soucient davantage d’un affrontement avec Israël que du sort de leur peuple. Où était la colère quand deux fillettes palestiniennes ont été tuées à Gaza quand des roquettes du Hamas, dirigées contre Israël, sont tombées trop près, la veille du début des bombardements israéliens ?

Quant à l’Egypte, le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, est responsable d’une politique désastreuse qui, d’un côté, maintient en vigueur un traité de paix signé en 1979 par Anouar Sadate avec Israël et, de l’autre, laisse les médias d’Etat exprimer leur furie contre Israël en suscitant ainsi une haine quasi hystérique contre ce pays chez l’Egyptien moyen.

Oui, l’occupation par Israël de terres arabes met en colère les Egyptiens, mais il n’existe absolument aucun espace dans les médias égyptiens ni dans les cercles intellectuels permettant de discuter d’Israël autrement que comme d’un ennemi. M. Moubarak tire les marrons du feu d’une politique qui consiste à monter les camps les uns contre les autres, de manière à se rendre indispensable.

Mais ma question est : où est la colère des Egyptiens et des autres, partout dans la région, contre les violations des droits de l’homme et contre l’oppression dans leurs pays ? Si de si grosses foules s’étaient rassemblées chaque semaine dans chacune des capitales arabes, cela fait longtemps que leurs dictateurs auraient été renversés.

C’est un déshonneur suprême fait à la mémoire des Palestiniens tués ces trois derniers jours que d’appeler à davantage de violences. Cela a échoué depuis 60 ans.

Nous honorons les morts en frappant, jusqu’à nous heurter aux tabous, et continuons à frapper. Parler au Hamas ? Israël doit le faire s’il veut en finir avec la violence. Se concentrer sur les questions intérieures dans chaque pays arabe en ignorant l’opium qu’est Israël ? Les Egyptiens, les Jordaniens, les Libanais et les Syriens doivent le faire, avant que leurs pays n’échouent au nom de la Palestine.

Les Palestiniens n’ont pas encore leur Etat. Quelle honte ce serait si les pays arabes, les uns après les autres, tombaient au nom de la Palestine.