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Ha’aretz, 20 mars 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La semaine dernière, quelques dizaines de familles juives américaines surgissaient d’un avion, à l’aéroport Ben-Gourion, en annonçant avec jubilation qu’elles étaient venues participer à des prières et à des manifestations à Goush Katif contre le désengagement. Le lendemain, on apprenait que les dingues du Mont du Temple se préparaient à importer des milliers de Juifs pour envahir le site de fidèles, en juillet, mobilisant ainsi d’importantes forces de police à Jérusalem et empêchant celles-ci d’évacuer les colons de la bande de Gaza.

Voilà un nouveau genre de lien entre Juifs de la diaspora et Israël : une immigration à court terme, pour violer la loi et troubler l’ordre public.

En 1998, au moment où était évoqué un retrait minuscule (1%) des territoires dans le cadre des accords de Wye Plantation, quelques-uns des leaders de colons déclaraient que personne n’avait le droit de renoncer à un quelconque bout de la Terre d’Israël, parce que, pour ce faire, il fallait l’accord de « toutes les générations de la nation d’Israël ».

Aujourd’hui, l’extrême droite enrôle les Juifs de la diaspora pour faire échouer le plan de désengagement. Elle ne se soumet, ni aux décisions souveraines du gouvernement et du parlement, ni à celles de la majorité, qui se reflètent dans les sondages. Elle appelle les Juifs du monde à se ranger sous son drapeau, et à participer à la résistance contre le retrait de Gaza et du nord de la Samarie.

En apparence, cette importation de manifestants est parfaitement admissible. Les liens entre Israël et la diaspora sont si divers qu’on pourrait y inclure la participation directe des Juifs de l’étranger à la controverse autour du plan de désengagement. Après tout, l’Etat d’Israël attend des groupes de pression juifs qu’ils interviennent en sa faveur auprès de leurs gouvernements. Il s’appuie systématiquement sur la générosité des Juifs de l’étranger, se définit lui-même comme l’Etat du peuple juif et se considère comme le refuge de tout Juif, où qu’il se trouve. On pourrait donc arguer que cet Etat devrait tolérer la décision de Juifs, qui ne sont pas citoyens israéliens, de prendre part de manière active à la résistance au désengagement.

De même, personne ne s’est élevé contre la décision de certains Juifs de venir en Israël participer aux guerres des Six jours et de Kippour. Pourquoi leur refuser le droit de participer au combat contre le désengagement?

La réponse est qu’il y a une différence énorme entre l’intervention active de Juifs, y compris une intervention physique, dans les affaires intérieures d’Israël, et une participation à ses combats sur le plan extérieur. Israël est, d’abord et avant tout, l’Etat de ses citoyens. Et le droit de ces citoyens de décider du destin d’Israël (en particulier de ses frontières et des accords concernant la sécurité nationale) l’emporte sur le lien émotionnel des Juifs du monde à l’égard d’Israël.

En d’autres termes, les Arabes d’Oum al-Fahm font, évidemment, partie du public qui décidera du sort du désengagement, pas les Juifs de Brooklyn. Cela sera également le cas si, le moment venu, la question du statut de Jérusalem est mis à l’ordre du jour.

De plus, de la même manière que les Juifs de l’étranger sont contre l’interférence d’Israël dans leurs affaires intérieures, même lors d’incidents antisémites, Israël ne tolérera pas qu’une force juive étrangère envahisse ses rues pour participer à des manifestations contre le désengagement. Jusqu’à maintenant, la solidarité des Juifs avec Israël s’est concentrée sur des questions consensuelles : guerres de défense, fardeau économique, isolation politique. Aujourd’hui, l’extrême droite enrôle des Juifs en tant que supplétifs, pour aider un camp minoritaire qui se bat contre la majorité.

Le fait de convoquer des Juifs, non citoyens israéliens, pour une période limitée, afin de participer activement à des actions qui entraîneraient des violations de la loi et une confrontation avec les forces de sécurité d’Israël, témoigne d’une conception distordue des leaders de la droite radicale. Ils ignorent le fait qu’ils constituent une minorité qui veut imposer sa volonté à la majorité par la force, soit en exigeant de comptabiliser « toutes les générations de la nation d’Israël » dans le vote sur le sort des territoires, soit en appelant les Juifs de la diaspora à venir prendre une part active à la résistance au plan de désengagement.