Daily Star (Beyrouth), 6 juillet 2007

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Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Les rodomontades du Hamas, couplées à sa volonté brutale d’éliminer ses rivaux palestiniens, pourraient avoir fini par sceller le sort du mouvement. Bien que le parti islamiste exerce désormais seul l’autorité sur une bande de Gaza paupérisée, son mépris absolu de la loi et de la vie humaine pourrait être catastrophique pour Ismaïl Haniyeh et ses acolytes. La main du président Mahmoud Abbas ne sera plus retenue par quelque désir obsolète de maintenir l’unité palestinienne. Cette unité a été brisée (merci au Hamas), et tous les paris sont ouverts.

Avec intelligence (certains diront avec opportunisme), Abbas a saisi l’occasion pour rompre définitivement avec le Hamas et réaffirmer la primauté de la modération palestinienne. Cela est apparu clairement lors de son récent discours devant le comité central de l’OLP. Il ne s’est pas contenté de condamner le Hamas pour son coup de force à Gaza, il s’en est pris précisément à son idéologie. Il a décrit le Hamas et tous les groupes islamistes comme des forces des ténèbres qui ont tendance à excommunier ceux qui sont en désaccord avec elles. Cet aspect très réel du Hamas n’a rien à voir avec les heurts récents avec le Fatah. Abbas a voulu discréditer le Hamas en évoquant l’un des aspects constitutifs de ce mouvement : la volonté d’islamisation de la société palestinienne.

Longtemps, Abbas a été mal à l’aise avec le principal mouvement islamiste de son pays. En plus de ses tentatives de modifier le paysage culturel de la Palestine, le Hamas refuse obstinément de reconnaître Israël, même au cas où celui-ci devait se retirer sur les frontières de 1967. Alors qu’Abbas envisage des relations diplomatiques pleines et entières entre une Palestine indépendante et son voisin, tout ce que le Hamas est prêt à offrir à Israël, c’est une trêve renouvelable indéfiniment. Pourtant, ces dernières années, la popularité du Hamas est montée en flèche, alors que le Fatah et les autres partis nationalistes perdaient pied. Quand le Hamas a remporté les élections législatives de l’année dernière, Abbas, durement éprouvé, a permis passivement à la démocratie de suivre son cours et ne s’est pas mis en travers du chemin du Hamas vers le pouvoir. Résultat : islamisation à l’intérieur, isolement à l’étranger, et évaporation de toute perspective de reprise des négociations avec Israël, tous facteurs qui ont exacerbé les myriades de problèmes sociaux et politiques de la Palestine.

L’effondrement du gouvernement d’union nationale Hamas-Fatah, et la décision par le Hamas de prendre le contrôle de Gaza se sont révélés les gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase. Plutôt que d’essayer de regagner le terrain perdu – et revenir simplement à l’impasse qui caractérisait l’équilibre des forces entre Hamas et Fatah – Abbas a pris une décision d’importance stratégique : revendiquer la Palestine au nom des Palestiniens modérés. Fatiguées de jouer à cache-cache avec les islamistes, les différentes factions de l’OLP, alliées à certains groupes de la société civile, pourraient aujourd’hui prendre l’initiative de diriger la Palestine naissante vers un avenir plus libéral.

Bien sûr, réorienter la société palestinienne sera difficile, compte tenu en particulier de l’influence grandissante de l’islam, phénomène culturel et politique largement répandu. Sans être, et de loin, aussi dogmatiques que le Hamas et le Jihad islamique, certains partis de l’OLP, comme le Fatah, connaissent eux-même un processus d’islamisation depuis les accords d’Oslo. Il demeure pourtant de nombreux Palestiniens qui conçoivent leur pays en termes d’ouverture, et même de laïcité, et qui sont irrités par le programme d’islamisation du Hamas. Les changements violents accomplis pour faire en sorte que le programme scolaire palestinien soit en accord avec les critères islamistes du Hamas ont été à juste titre couverts par la presse locale et étrangère, comme l’ont été les pratiques plus insidieuses de pressions sur les jeunes filles de porter le voile ou les incitations des jeunes à la prière. De plus, des cafés Internet ont été attaqués et des concerts interdits au nom de la « moralité. » Ces pratiques honteuses peuvent aujourd’hui s’arrêter, au moins en Cisjordanie.

Dans son discours, remarquable par le nombre de sujets abordés, Abbas a parlé du contrôle croissant qu’exerce le Hamas sur les écoles et les mosquées. Il est important de noter qu’il a également évoqué l’avenir des Palestiniens chrétiens, en accusant le Hamas d’être derrière la mise à sac d’un couvent et école catholique à Gaza. Cette dernière accusation reste à confirmer, les porte-parole du Hamas ayant démenti toute implication, bien que Monseigneur Manuel Musallam, chef de la communauté catholique romaine de Gaza, ait dans un premier temps laissé entendre que les auteurs étaient des membres du Hamas.

Il est impératif que les différences idéologiques entre le Hamas et l’Autorité palestinienne d’Abbas restent au premier plan du débat. La vision sociétale d’Abbas laisse une place aux islamistes, tant qu’ils n’ont pas recours à la violence et à la coercition, alors que la conception du Hamas de la société palestinienne promet des restrictions croissantes pour les femmes, les chrétiens, les laïques, les défenseurs de la normalisation avec Israël, et pour quiconque ne partage pas ses idées islamistes.

Reste à voir laquelle de ces conceptions triomphera, bien que tous les indicateurs montrent que la Cisjordanie est en voie de réintégration dans la communauté internationale, alors que Gaza risque de plus en plus d’être isolée. Abbas souhaite soulager les maux des Gazaouis frappés par la pauvreté, qui ne doivent en aucun cas devenir des pions dans son combat, mais s’oppose à tout dialogue avec les « assassins » et le « putschistes » du Hamas, qui veulent établir « un émirat de ténèbres et d’arriération », formules d’Abbas lui-même.

De fait, un Abbas revigoré a choisi délibérément de mettre en avant le contenu idéologique de son conflit avec le Hamas, et il paraît déterminé à reconquérir les acquis islamistes en Cisjordanie et, au bout du compte, à Gaza aussi. Par sa tentative de se débarrasser de ses rivaux et de prendre le pouvoir, il se pourrait que le Hamas ait fait un mauvais calcul. Sans l’avoir voulu, il a insufflé à un Mahmoud Abbas modéré mais jusqu’alors velléitaire un sens profond de sa mission. Il se pourrait aussi qu’il ait donné aux Palestiniens ouverts et laïques une nouvelle raison de vivre.