Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Pour la première fois depuis le début de l’intifada, il y a deux ans, le journal officiel de l’Autorité palestinienne a publié la semaine dernière une critique sévère de Yasser Arafat, de la direction palestinienne, et de la société palestinienne dans son ensemble, pour avoir rejeté les propositions du president Clinton à Camp David, en juillet 2000.

Le journal en question est Al Hayat al-Jadida, organe officiel de l’Autorité palestinienne, et l’auteur de l’article est l’ancien éditorialiste du même journal, Nabil Amr, qui jusque récemment était ministre dans le cabinet d’Arafat.

Dans un long article, en forme de lettre ouverte au President Arafat, Amr écrit : « n’avons-nous pas dansé de joie à l’annonce de l’échec de Camp David? N’avons-nous pas couvert Clinton de boue, alors qu’il proposait un Etat palestinien avec des modifications de frontières mineures? Nous ne sommes pas honnêtes, parce qu’aujourd’hui, après deux ans de bain de sang, nous demandons exactement ce qu’alors nous rejetions, à la différence qu’aujourd’hui, nous pouvons être certains que cela n’est plus possible. »

Depuis la rencontre au sommet de Camp David, rares ont été les mots de regret ou de critique de la part de personnalités palestiniennes sur le refus par la délégation, conduite par Yasser Arafat, de la formule de compromis, énoncée en termes généraux et proposée par l’équipe américaine de Clinton.

Il y eut bien quelques intellectuels, et quelques personnalités qui ne font plus partie de la direction palestinienne qui exprimèrent des doutes sur le bien fondé du refus par Arafat et ses conseillers du compromis discuté à Camp David.

Cependant, leurs voix se font rarement entendre. La direction palestinienne, et avec elle la grande majorité du public, parle depuis d’une seule voix, et cette voix soutient la politique d’Arafat qui l’a conduit à refuser le compromis. L’impression qui se dégage est qu’Arafat et ses proches ont été perçus par la quasi totalité des Palestiniens comme des héros, pour avoir été suffisamment forts pour résister aux pressions exercées sur eux et pour avoir dit non à des propositions dont ils estimaient qu’elles ne satisfaisaient pas même les revendications nationales minimales.

Dans ce contexte, la voix de Nabil Amr, personnalite centrale de la politique palestinienne, revêt une grande importance. Agé de 50 ans, journaliste de profession, il commence sa carrière dans l’appareil de l’OLP en tant que publicitaire, et est élu membre des instances suprêmes du Fatah. Il a également été ambassadeur de l’OLP à Moscou, et un proche conseiller d’Arafat.

Tout en exprimant des réserves sur les accords d’Oslo, il retourne en Cisjordanie et participe à l’élaboration des institutions de l’Autorité palestinienne. (…) En 1996, Amr est élu député au Conseil Législatif Palestinien et Arafat le fait venir dans son cabinet, au poste de ministre du Parlement. Il fut un temps où Amr était considéré comme l’un des confidents les plus proches d’Arafat. Il y a quatre mois, il démissionné du cabinet après des tensions au sein de la direction.

Le support qui a publié les propos d’Amr, jeudi dernier, a également son
importance. Il est vrai que le quotidien Al Hayat al Jadida a une faible diffusion, mais tous ceux qui y travaillent perçoivent leur salaire directement de l’Autorité palestinienne. En d’autres termes, il s’agit d’un organe officiel dont l’équipe a un statut équivalent à celui de fonctionnaire, contrairement aux deux autres quotidiens palestiniens, Al Quds et Al Ayam, qui sont tous deux financés par des fonds privés.

Il est certain que Nabil Amr a eu peur en écrivant cet article inhabituellement critique. Il commence en déclarant qu’il existe un danger que des conseillers d’Arafat interprètent ses propos comme « peut-être une déclaration de guerre ou l’expression d’une déloyauté. »

Cependant, ces craintes ne l’empêchent pas de blâmer le côté palestinien pour l’échec de Camp David : « combien de fois avons-nous accepté le compromis, puis rejeté, puis accepté de nouveau? Et nous n’avons pas voulu tirer les leçons de nos accords ni de nos refus. Combien de fois nous a-t-on demandé de faire quelque chose dont nous étions capables, et n’avons-nous rien fait? Et après, quand la solution fut hors de portée, nous avons parcouru le monde dans l’espoir de recevoir une fois encore ce qu’on nous avait proposé, pour apprendre qu’entre notre rejet et notre acceptation, le monde avait changé et nous posait des conditions supplémentaires que nous considérions comme inacceptables. »

L’article critique à peu près tout ce que fait l’Autorité palestinienne. Selon Amr, les différentes institutions de la nation « connaissent les jours les plus sombres de leur histoire. » Toutes les institutions de l’AP, de l’OLP et du Fatah ont ete vidées de leur contenu et ont dégénéré. « Nous avons échoué dans la gestion du processus historique auquel nous avons été confrontés. Nous avons échouéà faire régner la loi d’une manière qui mette de l’ordre dans les relations entre le gouvernement et les citoyens », écrit-il. Plusieurs ministres palestiniens considèrent leur ministère comme leur pré carré. La cause palestinienne est juste, écrit Amr, mais elle ne justifie pas le chaos, le manque de professionnalisme, et le bas niveau de moralité qui règne dans tous les coins. Il y a également un message personnel à Arafat : « tu as été l’un des premiers à t’élever contre le chaos, mais en tant que l’un de ceux qui soutiennent ce chaos, tu dois être blâmé. »

Dans son article, Amr parle aussi de l’avenir et donne son avis sur la manière dont les Palestiniens doivent se comporter à un moment « où les tanks israéliens contrôlent totalement la Cisjordanie et assiègent Gaza, et où chaque milice palestinienne opère dans les rues sans commandement central, sans supervision, et définit ses objectifs comme bon lui semble. »

Malgre ces difficultés, il pense que la société palestinienne est capable de s’unir et de faire le nécessaire pour amender et réformer son administration. « Cette société palestinienne courageuse a droit à une période de calme, de répit, pendant laquelle tout le monde pourrait réfléchir au chemin à suivre à l’avenir. Et même si Sharon nous provoque, si nous le poussons dans un coin en restant tout simplement tranquilles, n’en tirerons-nous pas profit? »

Difficile de savoir s’il s’agit d’une voix isolée, ou si nombreux sont ceux qui soutiennent l’approche d’Amr. En tout cas, son appel aux Palestiniens à faire preuve de retenue face aux provocations israéliennes fait écho à la déclaration du nouveau ministre de l’Interieur palestinien, le général Abdel Razek Yehiyeh (également responsable des forces de sécurité). Yehiyeh a déclaré cette semaine que les Palestiniens doivent adopter la résistance civile non violente contre Israël.

D’autres personnalités importantes de l’AP ont lancé des appels similaires. Le problème est que, vu l’état actuel de la Cisjordanie et de Gaza, des déclarations sur une cessation de la violence ne sont pour une grande part que des voeux pieux, qui n’ont aucune chance de se traduire sur le terrain.

Il ne fait aucun doute que le regret exprimé par Amr au sujet des positions
palestiniennes à Camp David est surprenant et tout à fait inhabituel, et c’est à juste titre que son article a fortement frappé l’opinion publique, en Cisjordanie comme à Gaza.