Daniel Seidemann est avocat d’affaires et fondateur de l’association Ir Amim, “For an Equitable and Stable Jerusalem with an Agreed Political Future” (Pour un Jérusalem stable et équitable, avec un futur politique défini par un accord ; [->http://www.ir-amim.org.il/eng/]).


Après Neve Shalom, nous prenons donc la route vers Jérusalem Est. Sur la route, Daniel Seidemann (Danny) nous fait une petite introduction sur Jérusalem. Il nous dit que si Jérusalem est unifiée dans les slogans, elle ne l’est pas dans la réalité. La route que nous empruntons, route principale numéro 1, correspond à la frontière tracée en 1949 entre la Jordanie et Israël [la fameuse Ligne Verte définie par les Nations Unies à l’Armistice de la première guerre Israëlo-Arabe). « Les Juifs la franchissent peu ; les Arabes la franchissent pour aller travailler côté Ouest. Juifs et Arabes ne vivent pas dans les mêmes quartiers, ne fréquentent pas les mêmes écoles ni les mêmes magasins. Il n’existe pas de mur physique entre Jérusalem Est et Ouest comme ce fut le cas à Berlin, mais il existe toutes sortes de murs de verre partout à Jérusalem, des murs que les gens ne franchissent pas ». En conséquence, Danny pense que cette frontière devrait constituer la frontière future d’une Jérusalem divisée entre deux états : « Il n’y a rien à inventer dans un nouveau processus de paix ; Obama, Abbu Mazen et Netanyahu n’ont qu’à reconnaître la réalité actuelle à Jérusalem. Israël sera là où les Juifs vivent aujourd’hui ; la Palestine là où les Arabes vivent aujourd’hui. » Cela résoudrait 95% de la situation à Jérusalem. « Les 5% restants, là où Juifs et Arabes se côtoient quotidiennement, sont les plus problématiques : il s’agit de la Vieille Ville [1 km2], des lieux saints, et des environnements proches, là où existe déjà une guerre ». Danny nous propose de traverser cette frontière invisible, et d’observer l’activisme des colons juifs à Jérusalem Est.

Nous passons près du célèbre American Colony Hotel (voir photo), http://en.wikipedia.org/wiki/American_Colony_Hotel, et nous nous arrêtons dans le quartier de Sheikh Jarrah, au Nord de la Vieille Ville.

American Colony Hotel - http://en.wikipedia.org/wiki/American_Colony_Hotel

Danny Seidemann et David Chemla à Sheikh Jarrah

Danny nous distribue des cartes où nous pouvons situer Sheikh Jarrah au Nord de la Vieille Ville. Ces cartes permettent de souligner la complexité de la situation à Jérusalem, avec la Ligne Verte définissant Jérusalem Est et Ouest (Armistice de 1949), la nouvelle délimitation municipale de Jérusalem (en bleu sur la carte), définie unilatéralement par Israël à la suite de la guerre de 1967 au cours de laquelle la Cisjordanie est annexée/occupée par Israël. Cette zone municipale n’est pas reconnue par la communauté internationale. Et enfin, le tracé de la barrière de séparation (en rouge sur la carte), appelée aussi barrière de sécurité, défini en 2002 par le Gouvernement Sharon en réponse à la vague d’attentats de la seconde intifada. Cette barrière suit globalement le tracé de la Ligne Verte dans tout le pays, avec plusieurs zones problématiques d’empiètement en Cisjordanie (nous en avons vu un exemple à Barta’a). Autour de Jérusalem, la barrière appelée aussi Enveloppe de Jérusalem, empiète massivement en Cisjordanie, avec 164 km2 additionnels au-delà de la Ligne Verte.

Cette barrière non seulement suit la nouvelle frontière municipale de Jérusalem, comme pour la sanctifier, mais englobe les quartiers juifs construits au delà de la ligne verte à la périphérie de Jérusalem comme Pisgat Zeev.

D’autre part, on voit que la barrière exclut de la municipalité de Jérusalem des zones de forte population arabe. Ces deux faits font de la barrière, une « barrière démographique », par laquelle Israël tenterait d’augmenter la proportion de la population juive à l’ouest de la barrière. De plus, force est de constater que cette barrière, au lieu de séparer Juifs et Arabes par sécurité comme prévu dans la majorité du reste du pays, a plus pour effet de séparer les Palestiniens de Jérusalem Est et des environs entre eux. Plus d’information sur [->http://www.ir-amim.org.il/eng/?CategoryID=173]

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Sheikh Jarrah est un vieux quartier palestinien, considéré saint par les Juifs à cause de la présence de la Tombe de Shimon Hatzadik, lieu de pèlerinage de Juifs religieux depuis le Moyen Age. (« Trop d’histoire et pas assez de géographie », nous dit Danny).

Ce quartier a une histoire complexe, qui se prolonge jusqu’à nos jours dans des expulsions et des batailles juridiques quotidiennes au sujet de la propriété juive ou arabe des terres et des maisons. Encore la semaine dernière, une famille palestinienne a été expulsée de sa maison. Ces derniers mois ont vu arriver neuf nouvelles familles juives dans le quartier. Danny nous explique que « les colons font tout pour sortir les Palestiniens maison par maison. » Il y aurait même un projet de raser la place pour installer 200 nouvelles familles juives. « L’objectif est de lier ce quartier à d’autres lieux peuplés de Juifs pour empêcher que plus tard « Al Quds » puisse devenir capitale des Palestiniens ». Danny insiste sur la différence entre les Juifs orthodoxes, qui viennent prier dans les lieux saints, et les colons juifs, qui tentent de venir y vivre en expulsant les Palestiniens.

Histoire du quartier

Les points principaux d’achoppement de l’histoire du quartier autour de Shimon HaTzadik concernent les questions (1) de propriété, (2) de droit des résidents Palestiniens, (3) d’implémentation différentielle de la loi, donnant la possibilité aux Juifs de demander à récupérer leurs biens d’avant 1948 mais ne donnant pas cette possibilité aux Palestiniens, et (4) de la construction de nouvelles implantations juives en territoire occupé.

En 1956, en coopération avec le gouvernement jordanien, l’ONU a construit 28 maisons dans ce quartier pour y accueillir des réfugiés palestiniens de la guerre de 1948, réfugiés qui en ont perdu le statut car considérés comme indemnisés, réparés. Ces Palestiniens devaient payer un loyer minimal pendant 3 ans, au bout desquels ils deviendraient propriétaires officiels de leur maison. Mais cela n’est jamais arrivé, jamais ces Palestiniens ne sont devenus propriétaires. Le territoire est passé sous contrôle israélien suite à la Guerre des Six Jours. Et plus que jamais depuis 1972, ces terres sont revendiquées par un groupe de Juifs Séphardim argumentant qu’ils en avaient acquis la propriété durant la période Ottomane de Jérusalem. S’ensuit une bataille juridique entre les deux parties. Danny nous fait remarquer alors que les tribunaux israéliens sont plus enclins à satisfaire les revendications de propriété des Juifs pour d’anciennes propriétés à l’Est, que celles des Palestiniens pour des propriétés à l’Ouest de la Ligne Verte. Les familles palestiniennes, refusant de payer un loyer aux dits propriétaires juifs, sont alors expulsées de leur maison.

Pour en savoir plus sur cette histoire, voir le site Ir Amim et télécharger le rapport détaillé en bas de page sur : [->http://www.ir-amim.org.il/eng/?CategoryID=324]

Aussi dans l’actualité, publié le 3 novembre dernier : « Settlers take over east Jerusalem home” [->http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3799705,00.html]

Alors que Danny nous explique la situation, une femme palestinienne nous rejoint spontanément pour raconter sa propre histoire. Il s’agit de Mme Nashashibi, descendante d’une grande famille palestinienne (pour en savoir plus sur la famille Nashashibi : [->http://www.jerusalemites.org/people_and_land/families/1.htm].

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Dans un français parfait et avec une grande dignité, Mme Nashashibi retrace l’histoire que Danny nous a racontée, et y rajoute des points personnels. Elle-même est musulmane, mais a grandi chez les sœurs françaises chrétiennes à Jérusalem. Elle était traitée comme une des leurs. « Pourquoi les Juifs réclament des terrains pour eux ? On a toujours partagé. Dans une même rue se succèdent l’American Colony, l’Anglican Church, le YMCA, les Pères Dominicains, le St Sépulcre, les Sœurs Allemandes et Françaises (…) ». Sa famille est là depuis 9 siècles, et a possédé des maisons dont certaines se trouvent maintenant à Jérusalem Ouest. Entre autres, elle nous raconte comment la maison de sa grand-mère aurait été offerte au gouvernement américain de Clinton par la mairie de Jérusalem…

Nous quittons Sheikh Jarrah et nous nous dirigeons vers le point de vue du Mont des Oliviers. En chemin, nous voyons un exemple de maison juive au milieu des quartiers arabes, surmontée d’une petite cabine où un gardien monte la garde.

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Nous passons près de l’université des Mormons (« Eux aussi sont là », nous dit David), puis faisons une première halte devant l’Université Hébraïque de Jérusalem, sur le Mont Scopus (Har Hatsofim). Cette université avait été inaugurée en 1925 par un discours d’Albert Einstein.

Du Mont Scopus, nous avons vue sur la Cisjordanie. C’est l’occasion pour Danny de nous expliquer la politique d’encerclement extérieur de Jérusalem, et plus particulièrement le fameux projet de développement E1 (East 1).

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Au loin, nous voyons Ma’ale Adumim (voir photo, et carte plus haut). Avec ses 35 000 habitants, Ma’ale Adumim est la plus grosse colonie juive en Cisjordanie. Jusqu’à présent, elle est reliée à Jérusalem par une route réservée pour les colons. Mais il existe un large plan de développement initié par Sharon, le plan E1, projetant la construction d’une nouvelle colonie de 12 km2 qui devrait relier Ma’ale Adumim à Jérusalem (voir triangle gris E1 sur la carte ci-dessus). Le projet mentionne 3500 nouveaux lieux d’habitation pour des Juifs. Aucune mention n’est faite de la population Palestinienne sur place.

Pour Danny, cette colonie potentielle serait la plus dangereuse pour le plan de paix à Deux Etats. En effet, « si E1 était construit, il n’y aurait plus de lien géographique entre la Vieille Ville et de nombreux villages palestiniens. Pas de lien géographique, donc plus de lien politique. La continuité territoriale deviendrait impossible à assurer. La Cisjordanie serait coupé en deux bantoustans. Le futur Etat Palestinien était déjà divisé entre la Cisjordanie et Gaza, maintenant la Cisjordanie elle-même est divisée ». Danny se vante d’avoir convaincu George W Bush de ne pas soutenir cette construction. Il espère faire de même avec le Président Obama. Pour l’instant, il semble très inquiet, et pense qu’il ne reste plus que 6 mois d’ici la finalisation du plan E1. Pour lui, si la construction de E1 est lancée après ces 6 mois, il n’y a plus de solution à Deux Etats.

Pour en savoir plus sur le plan E1 : [->http://www.ir-amim.org.il/eng/?CategoryID=180]

De notre point de vue, plus à notre gauche, nous apercevons également la barrière de séparation, clairement visible sur cette photo, d’en bas à droite vers le haut à gauche.

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Nous nous arrêtons ensuite sur le Mont des Oliviers d’où nous avons vue sur la Vieille Ville et Silwan.

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Danny poursuit : malgré les apparences, Jérusalem a été plutôt stable, gérant avec succès la proximité quotidienne des Juifs et Arabes et des trois religions dans la Vieille Ville. Mais elle pourrait exploser. Les politiciens n’agissent pas de façon responsable. Des rumeurs mensongères de la part des Islamistes racontent que des fouilles auraient lieu sous le Mont du Temple et menaceraient d’ébranler la Mosquée. D’autre part, des fouilles, bien réelles, se déroulent à Silwan près de la Cité de David, par des institutions juives extrémistes à la recherche d’un passé uniquement juif. « Ici on utilise la Bible pour rejeter les gens de leur maison ».

La Cité de David, mise à jour par des fouilles archéologiques

Danny nous parle également de la communauté chrétienne : « la communauté chrétienne de Jérusalem est à l’agonie. » En 1948, les Chrétiens représentaient près de 25% de la population arabe de Jérusalem, contre moins de 10% aujourd’hui. « Si la communauté chrétienne devient un musée, Jérusalem ne sera plus Jérusalem. Quand la communauté chrétienne est malade, on est tous malades (et on ne le sait pas encore) ». Il nous explique qu’au Moyen Orient, la communauté chrétienne est un reflet de la santé d’une société.

Sur le chemin à travers Jérusalem et Silwan, nous voyons encore la présence immanquable des maisons juives isolées implantées dans les quartiers arabes, avec drapeaux et cabines de gardiens :

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