Ha’aretz, 7 mai 2008

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Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Depuis quand les jours de printemps qui précèdent le Jour de l’Indépendance se sont-ils transformés en Journées Saintes de l’Israélianité ? En journées d’examen de conscience pessimiste, d’étalage d’amertume, de déferlante et de toutes nos frustrations et de toutes nos angoisses ? En prévision de ce jour, selon la tradition nouvelle, chacun se retrousse les manches et se prépare à une auto-flagellation aussi totale que festive. Les anciens font la queue pour nous dire combien ils sont déçus par l’état du pays et combien « ce n’est pas le pays qu’ils avaient espéré » (sans expliquer, au-delà des clichés, ce qu’était ce pays tant espéré ni pourquoi ils n’ont pas fait grand-chose pour le faire advenir). Les sondages assaillent le public, les jeunes en particulier, avec des questions enchanteresses telles que : « Vous attendez-vous à ce que ce pays soit détruit ? », ‘ »Quand, à quel stade [de sa destruction] vous enfuirez-vous ? » ou encore « Quand, à votre avis, la Shoah se produira-t-elle de nouveau ? »

Sans doute s’agit-il d’une manière très juive de fêter un Jour de l’Indépendance. Sans doute aussi s’agit-il des premiers fruits de l’implantation de la mentalité catastrophiste et victimaire dans les écoles, dans les voyages à Auschwitz, dans l’humeur ambiante, même (et en premier lieu) dans l’armée. Grâce à notre grande peur de l’inconnu-toujours-plus-menaçant, les festivités se sont donc atrophiées pour se réduire à une nostalgie du passé, sûr, lui, au moins. Pas étonnant, dans ces conditions, que chaque Jour de l’Indépendance s’accompagne d’un sentiment diffus de malaise.

Dans ce contexte, où le catastrophisme l’emporte sur l’espoir, il y a des groupes, politiques et autres, qui voient là la défaite de l’israélianité elle-même : cette israélianité qui se caractérise par l’inventivité et le pragmatisme, et qui aurait perdu face à une sorte de judaïsme messianique et transcendantal. Car le pilier, l’aspiration première de cette israélianité-là est l’espoir en la paix.

Mais en est-il vraiment ainsi ?

Même dans la confusion morale dans laquelle se trouvent le gouvernement et tout le système politique, on ne peut ignorer la tendance persistante à l' »israélisation » qui, lentement et modestement, sans tapage, commence à relever la tête face à ses oppresseurs et ennemis de l’intérieur. C’est en vain que ses ennemis, les différentes factions « orange » [L’orange était la couleur des anti-retrait de Gaza. Alliance de la droite et du public religieux quasi unanime. Voir [Dans les rues d’Israël, le bleu défie l’orange ou encore N’agitez pas les rubans orange (Akiva Eldar) ]] dansent sur sa tombe : l’israélianité est plus vivante que jamais, ce qui se voit à la culture, au style de vie, à la créativité, la langue, et de façon générale, au désir de normalisation. Désir dont le renoncement au Grand Israël est la manifestation la plus évidente.

Et tout cela sans aucun rapport avec les vicissitudes d’un quelconque processus de paix, dont les ennemis de l’israélianité, en embuscade, guettent l’échec. Sans même aucun rapport avec l’identité fluctuante du premier ministre. Car il a été prouvé qu’aucun dirigeant israélien, de droite comme de gauche, ne peut lutter contre les contraintes diplomatiques et contre ce désir de normalisation et d’espoir qui vient de l’intérieur.

L’espoir a été, et est encore, le moteur qui actionne l’Etat d’Israël, même quand, à l’occasion, il se révèle illusoire. C’était probablement ce qu’a voulu dire celui qui a dit : « En Israël, qui ne croit pas aux miracles n’est pas réaliste », parlant des miracles de facture humaine. Car l’espoir lui-même crée une énergie positive, qui elle-même entraîne sa réalisation. Il s’agit là d’une sorte de « secret » national qui, ces dernières années, n’est plus connu que de quelques-uns qui sont aussi, et c’est loin d’être une coïncidence, les Israéliens qui réussissent le mieux.

L’une des répliques les plus répandues dans le discours israélien, par-delà les générations, à l’échelle à la fois personnelle et nationale, est : « Dommage que nous n’ayons pas… » : dommage que mes parents n’aient pas acheté tel terrain, situé alors dans un lointain champ de ronces ; dommage que nous n’ayons pas investi dans telle étrange usine de gravure sur métaux ; dommage que nous n’ayons pas profité de telle fenêtre d’opportunité diplomatique, etc. En d’autres termes : dommage que nous ayons été si pessimistes, dommage que nous ayons investi dans des calculs frileux, en énumérant les problèmes à venir et en nous faisant peur, alors que d’autres, plus visionnaires, s’ouvraient aux opportunités, investissaient dans l’optimisme et faisaient le pari de l’avenir.

Dirigeants, entrepreneurs et individus ont récolté, grandi, prospéré, parce qu’ils connaissaient le secret : en Israël, l’optimisme a presque toujours payé sur le long terme. Du moins jusqu’à présent. Et même si ce n’est pas le cas, du moins aurons-nous ressenti pendant un moment un peu plus de joie du fait même de notre existence et du miracle de notre survie, qui constitue l’essence de la joie que procure l’indépendance.