Par Joseph Algazy

Trad. : Tal Aronzon pour La Paix Maintenant


Formuler une stratégie qui permette au peuple palestinien de se libérer
de l’occupation, de changer les institutions et les rouages administratifs de l’Autorité palestinienne et de redonner à la société civile son autonomie d’action, tels sont les points essentiels d’un document publié par le Dr Haydar Abd al-Shafi de Gaza, le Dr Mustafa Barghouti de Ramallah et l’ingénieur Ibrahim Dakkak de Jérusalem-Est, sous le titre « L »initiative nationale palestinienne ». Tous trois, ainsi que d’autres intellectuels palestiniens dont les professeurs Edward Said et Hisham Sharabi, appellent à la formation d’un gouvernement d’urgence nationale, la tenue d’élections démocratiques aussi vite que possible et la mise en oeuvre de réformes qui répondent aux besoins du peuple palestinien.

De gauche sans être membre d’aucun parti, doté d’amis dans le camp israélien de la paix, Ibrahim Dakkak, 73 ans, reconnaît que l’anarchie règne dans les zones sous autorité palestinienne. La raison en est la réoccupation des Territoires par l’armée israelienne jointe à l’annonce faite par celle-ci que l’administration civile resterait aux mains de l’Autorité palestinienne ˆ bien que la majeure partie de ses institutions aient été détruites. Israël veut combler le vide, dit Dakkak, mais se heurte à une résistance vigoureuse de la part des Palestiniens.

Dakkak fit les gros titres il y a plus de vingt ans, lors d’une tentative avortée du reseau terroriste juif de l’assassiner dans le cadre d’un plan visant à liquider les maires et dirigeants palestiniens. Deux assassins l’attendaient près de chez lui le 2 juin 1980, sans savoir qu’il était parti la veille à l’étranger.

L’important dans la situation actuelle, dit-il, est le grand rôle joué par les ONG palestiniennes dans la gestion de questions essentielles pour la société : la santé, l’assistance sociale, l’agriculture et autres domaines clefs de la vie.

« Les ONG retrouvent maintenant le rôle qu’elles tenaient pendant la première intifada (à la fin des années 80 et au début des années 90), avant que l’Autorité palestinienne n’entre en vigueur et ne leur cloue les ailes, explique Dakkak. A la suite de l’effondrement des institutions palestiniennes et de leur incapacité à assurer les services publics essentiels, les ONG ont montré leur efficacité en dépit des difficultés objectives causées par le siège des villes, la fermeture [des Territoires] et le couvre-feu imposés par Israël. »

Des conséquences négatives

A ses yeux, l’un des objectifs de la réoccupation des villes et zones non urbaines de Cisjordanie est de soumettre les Palestiniens aux ultimatums des Etats-Unis et d’Israël. Le gouvernement du président George Bush et celui du Premier ministre Ariel Sharon tentent de pousser le président égyptien, Hosni Mubarak, et le roi Abdallah de Jordanie à convaincre l’Autorité palestinienne de se plier à leurs conditions. Et les gouvernements égyptien et jordanien, aujourd’hui désireux de préserver leurs traités de paix avec Israël – en bonne part du fait de leur dépendance économique vis-à-vis des Etats-Unis – essaient effectivement de pousser les Palestiniens à accéder aux exigences américaines et israéliennes. La rue arabe, cependant ne l’accepte pas et réclame que l’on résiste aux interventions militaires israéliennes. En conséquence, la menace d’une déstabilisation politique plane sur toute la région. Qui plus est, ajoute-t-il, la réoccupation a un impact négatif sur la societe israélienne aussi bien que sur la palestinienne.

Le peuple palestinien attend des réformes, soutient Dakkak, mais les exigences formulées par Bush touchent à des points qui vont très au-delà de la réforme. Le dirigeant américain veut une Autorité palestinienne en laisse, agissant au mieux des intérêts de Washington en fonction de sa stratégie dans la region.

« L’arrêt de l’intifada mettra le gouvernement américain en position de force pour réaliser son plan d’attaque contre l’Irak, explique Dakkak. Bush ne tient pas à se débarrasser d’Arafat ; ce qu’il veut vraiment, c’est le domestiquer jusqu’à ce qu’il cède autant que faire se peut aux demandes américaines, comme les régimes égyptien et jordanien. Du temps de l’administration Clinton, Arafat menait les négociations et déterminait, en dépit des pressions exercées, ses choix tactiques; sur certains point, il ne demordait pas de sa position. Maintenant, on ne lui demande plus de négocier mais de capituler face au diktat américain. »

Suivant son analyse, les Etats-Unis et Israël redoutent l’éventualité d’une prise du pouvoir par les deux groupes radicaux, le Hamas et le Jihad islamique, au sein de l’Autorité palestinienne. « Le soutien populaire au Hamas, dit-il, est la conséquence de l’échec de l’Autorité à résoudre la question politique palestinienne, ainsi que les problèmes économiques et sociaux de son peuple. »

« Dans les Territoires, les chrétiens ne sont pas les seuls à émigrer, note-t-il. Les musulmans aussi fuient la région. D’où le besoin d’une alternative. Le Hamas fournit de bons services sociaux et économiques sur une échelle bien plus large que l’Autorité palestinienne, et dispose en outre du soutien de Palestiniens chrétiens.

Quoiqu’il en soit, précise-t-il, si une alliance d’éléments démocratiques se constituait, beaucoup de ceux qui soutiennent aujourd’hui le Hamas changeraient de cap en faveur de ce groupe. La meilleure solution est celle de négociations entre Israël et les Palestiniens sur la base d’une volonté authentique des deux côtés de sortir de l’impasse. »

Quant à la lutte engagée entre les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, Dakkak remarque que « le mode d’attribution des postes de commandement dans les formations de sécurité etait dès le depart malsain. En témoignent les protestations des forces de Sécurité préventive (en Cisjordanie) contre la démission de Jibril Rajoub, leur chef. Ce que Rajoub a fait, en réalité, a été de se constituer une armée privée, un pouvoir fort s’appuyant sur des hommes du Fatah à lui tout dévoués et placés sous son autorité. Lorsque les forces de sécurité sont chacune loyale envers son propre commandant, le résultat est l’absence de tout gouvernement central unique. Arafat veut apparemment mettre fin à cet état de choses, mais quand bien même il y parviendrait, l’amertume demeurerait. La solution est dans la recomposition de toutes ces unités et leur subordination à un corps politique fédérateur unique tirant son autorité du peuple palestinien et de ses institutions démocratiques. »

Un exécutif de crise

Des années de consultations et de discussions ont précédé l’initiative politique prise par Dakkak et ses amis. Le processus s’est accéléré avec le mécontentement croissant provoqué par la mauvaise gestion de l’Autorité palestinienne, comme l’a montré la démission du Dr Haydar Abd al-Shafi du Conseil législatif (le Parlement palestinien) et son refus, comme d’autres, d’entrer au gouvernement de l’Autorité palestinienne.

« Une lutte féroce s’est instaurée des le début entre l’Autorité palestinienne et les institutions civiles qui existaient avant sa création, dit Dakkak. Arafat a exercé de fortes pressions pour former un ministère ad-hoc tenu par Hasan Asfour, sous l’autorité duquel toutes les ONG étaient appelées à se placer. Le but était clair : il s’agissait de soumettre l’action des ONG à la volonté et aux intérêts du pouvoir politique. Cela a court-circuité le processus démocratique et contrarié le travail du Conseil législatif. »

La declaration rendue publique par ce groupe n’est pas dirigée contre Arafat, dit Dakkak. Les critiques s’adressent à l’ensemble de l’Autorité palestinienne et au fonctionnement de tous ses éléments.

« Les institutions de l’Autorité palestinienne sont coupées de l’opinion et ne répondent pas à ses attentes, affirme-t-il. En de nombreuses occasions, ces instances bureaucratiques ont agi en pourvoyeurs de jobs à des marionnettes. »

Il réfute l’accusation portée par certains Palestiniens pour qui les promoteurs de cette initiative veulent simplement prendre la place d’Arafat et de l’actuelle direction.
« En cet etat d’urgence, il est essentiel que nous ayons un exécutif de crise capable d’unir l’ensemble des groupes aujourd’hui actifs. Il s’agit d’un exécutif de crise, pas d’un gouvernement permanent, souligne-t-il. » « Le peuple palestinien attend des élections générales et locales dans les zones de l’Autorité palestinienne en janvier prochain, dit Dakkak, à condition que l’occupation, le blocus et les barrages soient auparavant levés. Quelqu’un croit-il sérieusement qu’il soit possible de tenir des élections libres et démocratiques dans les conditions actuelles ? »

Dakkak ne compte pas parmi les signataires de la récente petition appelant à l’arrêt des attentats-suicide contre Israël, bien qu’il découle clairement de ses remarques qu’il ne les soutient pas. « De nombreux Palestiniens sont contre les attentats terroristes, dit-il. Quelqu’un sacrifie ce qu’il a de plus précieux – sa vie – et pretend qu’il le fait pour son peuple, mais le résultat est exactement inverse. Son acte est néfaste en termes humains, révolutionnaires, et médiatiques. La question n’est pas d’exprimer notre opposition à l’action des ‘kamikazes’, mais de convaincre l’ensemble de l’opinion de prendre parti contre eux. »

Dans une interview donnée en octobre 1991 a Ha’aretz, Dakkak déclarait : « Vouloir que l’intifada [la première, dite ‘des Pierres’] aille s’intensifiant, c’est attendre du peuple palestinien qu’il se suicide. »

Jetant un regard en arrière, il dit aujourd’hui : « Il nous faut prendre en compte la différence qualitative entre les deux intifadas. L’arme de la première était les pierres, qui parvinrent à nous gagner le soutien de nombreux groupes et individus dans la communauté internationale et en Israël. Une tentative d’escalade militaire a alors été contrée. Militariser l’actuelle intifada fut une erreur. Si vous choisissez l’insurrection armée, comme le Vietcong par exemple, vous devez aller jusqu’au bout. L’intifada militaire manquait et de circonstances favorables et de souffle. Je suggère d’en revenir à la première intifada, pas forcément au jet de pierres, mais à l’art de nous faire entendre. Les pierres de la première intifada n’étaient qu’un moyen, c’était un haut-parleur portant fort et loin notre voix.