Ha’aretz, 16 août 2007

[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/882946.html]

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La « haine de soi », chez les juifs, est attaquée par les traditionalistes, étudiée par les sociologues, cataloguée par les collectionneurs, moquée par les comiques, crainte par les parents.

Mais la haine de soi est aussi sous-estimée.

Pour le dire simplement, il y a beaucoup à apprendre de la haine de soi des juifs. Comme le paranoïaque, le juif pathologiquement critique de ce qui est juif, ou pour qui tout ce qui est juif ou israélien est source de honte, peut éclairer certaines questions qu’à tort, nous préférons soit ignorer, soit accepter.

En fait, pour ces mêmes raisons, un peu de haine de soi pourrait faire du bien au musulman contemporain, mais nous y reviendrons.

En quoi la haine de soi peut-elle faire un bien quelconque au peuple juif en général?

Critique hypersensible, le juif ostracisé car représentant de la haine de soi, qu’il soit romancier, homme de théâtre, rabbin ou déserteur après sa bar-mitsva, peut avoir d’importantes choses à dire sur les échecs d’Israël ou de la Diaspora.

En Israël, il est beaucoup trop facile de penser que les excès et atrocités commis par des extrémistes musulmans légitiment un manque d’initiative à l’égard d’ouvertures de paix, une liberté donnée à l’expansion des colonies et la perpétuation de l’occupation de millions de Palestiniens.

Notre plaie, ce sont des dirigeants trop imbus d’eux-mêmes, persuadés de leur bon droit, sentiment qui n’est que trop partagé dans l’opinion juive.

On peut se demander si au coeur de ce sentiment ne se trouve pas un complexe de supériorité-qui-va-sans-dire, inhérent aux enseignements de nombreuses personnalités religieuses, et profondément ancré dans une grande partie du public juif. L’hypothèse étant que l’esprit juif est de meilleure qualité, le coeur juif plus large et plus tendre, l’âme juive d’une moralité plus profonde, et le système juif de croyances d’une plus grande légitimité.

Il est temps d’en sortir.

Peut-être, pour ce faire, avons-nous besoin des partisans de la haine de soi.

Même des cas extrêmes, comme les juifs de Cour de l’ancien califat qui menaient des campagnes de boycott contre les Britanniques, ou les ados des faubourgs de Berkeley, plus palestiniens que les Palestiniens, peuvent jouer un rôle positif. (…)

Au moins, on ne peut pas accuser les juifs d’ignorer le phénomène. Un site web américain, par exemple, préférant la quantité au scrupule, n’hésite pas à citer une liste de 7.000 noms de ce qu’ils appellent des Juifs touchés par la haine de soi [A regret, nous donnons l’URL, puisque Burston s’y réfère :[.
Cette liste de « juifs de merde » (dans le texte), très américano et isaélo-centrée ne cite pas de Français, semble-t-il, mais des noms qui diront sans doute quelque chose à nos lecteurs francophones : Woody Allen, Colette Avital, Nourit Aviv, Ami Ayalon, Daniel Baremboïm, Gershon Baskin, Yossi Beilin, Uzi Benziman, Benjamin Bet-Halakhmi (ce nom ne dira probablement rien à personne, mais c’est un hommage perso à un professeur bien aimé), Ran Cohen, Yaël Dayan, Richard Dreyfuss (oui, l’acteur) et on va s’arrêter là. Ce site rappelle le site francophone heureusement défunt amisraelhai.com, condamné pour incitation à la haine raciale.
Toutefois, nous ne résistons pas à l’envie de citer, sans la traduire (n’exagérons pas, mais traduction rapide si c’est gentiment demandé), la notice, accompagnée d’une photo, signe de l’importance du personnage, consacrée à notre ami et camarade Dror Etkes, tout récent ex-responsable de l’Observatoire de la colonisation pour Shalom Akhshav (La Paix Maintenant, nommée par ce site, bien sûr, « Le Suicide Maintenant »). Sa remplaçante Hagit Ofran n’a pas encore cet honneur :

« Etkes, Dror : This is an Israeli Jew. He is also a settlement snitch who carries out his surveillance on behalf of Israel’s dovish Peace Now [Suicide Now] movement. And, as head of the Settlement Watch Project, he proudly announces, « I’m doing what I’m doing first of all because I’m a decent human being and, second, because I’m an Israeli and I have an Israeli interest. » How about adding a few other reasons like « It’s a job and I get paid for it » and « I’m a Judenrat kapo-traitor » and « I’m a degenerate Self-Hating Israel-Threatening Jew! »
One might feel sorry for such « useful idiots, » those who unwittingly work for their enemies. Despite all evidence to point prove otherwise, they continue to put forth the notion that Jews cause the terrorism and that, if they simply turn over land, peace will break out all over Israel and perhaps even throughout the Arab world. The fact that the Arabs attacked Israel FROM land THEY (the Arabs) already controlled in 1967 (and lost that land… today’s so-called « occupied territories ») does not set off any light bulbs in their heads! The fact is that it’s all about « Jews » … not land… and THAT’s the reason Ahmed and Mohammed murder Yitzhak and Rachel!
No amount of Israeli concessions short of national suicide will end the Arab offensive to destroy the Land of Israel. Yet, people like the snitch, Dror Etkes and his Peace Now sponsors, never seem to learn. »
(fin de citation).
Le tout à l’avenant. Signalons, entre autres curiosités, que les (nombreux) rabbins que ces gens n’aiment pas voient leur qualité de rabbin agrémentée de guillemets.]].

Après tout, la haine de soi est une composante de base de la vie juive depuis la nuit des temps. Moïse a eu affaire au mécontentement des enfants d’Israël bien davantage qu’il ne l’aurait souhaité (cf. Korakh, Datan et Aviram, Nombres 16:1-33, ou l’épisode du veau d’or, Exode 32: 1-35).

On pourrait aussi avancer qu’un élément de haine de soi pourrait, dans une mesure égale, bénéficier au musulman contemporain.

Le sentiment de supériorité morale et d’élection est également fort au sein de l’islam. Cela ne s’est pas révélé plus profitable qu’aux juifs. Il a atteint sa forme la plus extrême dans le jihadisme, et dans un objectif explicitement annoncé d’une domination sur toutes les terres qui furent dans le passé dominées par des musulmans. Mais en menant sa guerre contre l’Occident, Al-Qaida a en fait déclenché une guerre contre l’islam. L’écrasante majorité des victimes du terrorisme islamiste dans le monde sont des musulmans.

Récemment, peut-être par contrecoup, il y a des signes qui indiquent qu’un nombre croissant de musulmans remettent en question les cheikhs, les mollahs et les ayatollahs qui prêchent la supériorité et l’élection musulmanes. Les mêmes sites Internet et chaînes de télévision qui servaient de vecteurs au terrorisme djihadiste accueillent aujourd’hui des musulmans qui mettent en cause, critiquent et contrent les extrémistes.

Peut-être que nous, musulmans et juifs, aurons la sagesse de nous attaquer à nos propres échecs avec la même vigueur que celle que nous mettons à nous attaquer mutuellement.

Considérons cela comme de la saine haine de soi. Peut-être est-ce exactement cela dont le monde a besoin aujourd’hui.