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Ha’aretz, 25 fevrier 2004

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Certains le disent du fond du coeur, d’autres le présentent, tristement, comme une théorie : « il est incorrect de dire que les Palestiniens n’ont pas de stratégie, ils en ont plusieurs ». Dans les deux cas, cela fait référence à la « stratégie » démontrée avec un cruel cynisme dimanche dernier avec l’attentat contre le bus 14 à Jérusalem. Sous le parapluie fédérateur de la lutte contre l’occupation israélienne opèrent plusieurs groupes de façons différentes et quelquefois contradictoires. Chacun jure être le véritable défenseur des intérêts palestiniens.

Dans l’action civique et politique, ce genre de pluralisme désordonné est assez naturel. Certains groupes insistent sur le caractere sacré du droit au retour, d’autres concentrent leurs efforts contre les colonies, d’autres participent à l’initiative de Genève, d’autres encore cherchent à ressusciter la solution bi-nationale pour mieux promouvoir une
solution à deux Etats. Le leadership palestinien ajoute à la cacophonie ambiante par ses propres avis contradictoires.

Mais quand un certain nombre de groupes s’affrontent pour avoir l’honneur de figurer à la tête de la « lutte armée », une dynamique plus problématique se met en route : dans la société palestinienne, le diktat et la coercition se cachent derriere l’aura d’un héroïsme mis en scène.

En ce moment, alors que se poursuivent les audiences de la Cour internationale de Justice à La Haye, l’action de protestation de la société civile palestinienne contre la clôture de séparation atteint un sommet. Des centaines de militants palestiniens appartenant à des ONG palestiniennes ou internationales, ainsi que des militants israéliens, ont commencé depuis 18 mois à dresser une liste complète des torts causés par la clôture de séparation érigée profondément en territoire palestinien.

Ces efforts, non coordonnés, sont devenus plus professionnels et efficaces à mesure que le caractère annexionniste de la clôture devenait plus évident. Ils n’ont pas perdu espoir quand leurs informations ont été accueillies par certains occidentaux comme des exagérations et des faux, car qui pouvait croire que la clôture emprisonnerait de fait des gens dans des enclaves et les forcerait à obtenir des permis de résidence pour habiter chez eux.

Les militants ont emmené des groupes de visiteurs voir l’affreuse clôture/terrible mur, tout en étant incapables de mobiliser les leaders de l’Autorité palestinienne, installés placidement à Ramallah, ou de les intéresser à ce qui se passait à l’ouest de la Cisjordanie. Quand l’un de ces militants suggéra à une personnalité importante d’organiser des meetings sur la clôture pour éveiller l’intérêt du public, la personnalité répondit avec apathie : « nous ne sommes pas une organisation de terrain ».

Les militants n’ont pas stoppé leur action quand les habitants de Qalqiliyah, qui sont entourés par le mur et vivent dans la pauvreté et le désespoir, ont lancé des accusations : « nous sommes devenus une nouvelle Mecque. Tout le monde vient chez nous en pelerinage, mais rien ne change ». Ce sont des pionniers de la protestation, qui ont créé un nouveau type de lutte contre l’occupation israélienne, politique, civique, et juridique à La Haye.

Un jeune Palestinien, qui a peut-être cru que le paradis l’attendait pour l’éternité, et qui, en tout cas, a voulu prendre part au meurtre de citoyens israéliens, a presque réussi à ruiner les efforts de milliers de ses compatriotes.

Peut-être ne connaissait-il pas leur travail ; peut-être n’en avait-il rien à faire ; peut-être n’a-t-il pas fait le lien entre les choses ; peut-être des circonstances personnelles ont-elles éveillé en lui une soif de vengeance.

La question essentielle n’est pas de connaître ses motivations personnelles, mais de connaître celles du groupe qui l’a envoyé se faire exploser dans un bus précisement à ce moment, à la veille des audiences de La Haye. Dans quelle mesure y a-t-il eu motivations rationnelles? Dans quelle mesure ces motivations étaient-elles obtuses?

Si l’attentat a été l’oeuvre exclusive de la Brigade des Martyrs d’Al Aqsa, ou de l’un de ses goupes dissidents, qui n’ont pas l’épine dorsale idéologique qui caractérise un mouvement de libération nationale, il est peut-être tout à fait superflu de leur attribuer une pensée à long terme et des capacités de planification.

Mais si l’attentat a été planifié et déclenché par le Hamas, comme le disent les services de renseignements israéliens, il peut être décrit comme faisant partie d’un certain type de « stratégie ». Mais, précisément, quel type de stratégie? Le fait même que le Hamas ne revendique pas une action qu’il a peut-être effectuée pose un certain nombre de questions.

Les planificateurs de cet attentat terroriste ont-ils voulu delibérément saper la rebellion civile palestino-israélienne contre l’occupation? Les organisations islamistes n’ont pas pour habitude de participer à des manifestations symboliques contre l’occupation. Car, inhérent à ces actions (auxquelles participent de nombreux membres du Fatah), il y a le soutien à une solution à deux Etats.

Le combat civique, contrairement à l’usage des armes, implique toutes les couches de la société, et crée même des espaces de rencontre entre Palestiniens et Israéliens. Une action populaire à grande echelle réveille une sorte d’espoir en ce monde, et affaiblit cette croyance fataliste en un monde de l’au-delà qui rend plus facile à de jeunes Palestiniens d’accepter d’accomplir des missions suicides. Peut-être est-cela qui a fait peur à ceux qui ont perpétré le dernier attentat terroriste à Jérusalem, à la veille des audiences de La Haye.