Israel/Palestine Center for Research and Information,
19 mars 2010

Traduction : Gérard Etzenberg pour La Paix Maintenant


La crise des relations entre Washington et Jérusalem n’est pas nécessairement une mauvaise chose dans l’optique de l’avancement du processus de paix. Bien entendu, cette crise constitue pour l’administration Obama l’un des problèmes les plus graves de sa politique étrangère en général et pourrait modeler et influencer la politique américaine dans la région pour les prochaines années.

Il est très important de faire la liste de toutes les options politiques à la disposition de la diplomatie américaine afin de parvenir à une issue positive. Ce qui a réellement transpiré dans les médias n’est pas complètement connu de l’opinion. Il y a des rumeurs, et seuls de rares faits sont réellement connus. Ce qui suit est ce que j’ai pu reconstituer – avec une réserve : si ce scénario est faux, alors les projections peuvent elles aussi se révéler fausses. Mais s’il est correct, la situation constitue de fait, peut-être, la crise la plus grave que les relations entre Israël et les Etats-Unis aient jamais connue

Avant la décision de la Ligue arabe de soutenir le lancement de pourparlers, l’OLP présentait à Mitchell un document de trois pages, dont des questions et des positions fermes concernant le début des négociations. Ce document comprenait : les négociations auront pour base la ligne Verte ; elles devaient commençait là où les propositions d’Olmert à Abbas finissaient ; elles devaient comprendre tous les sujets liés à un accord de règlement final ; enfin, il devait y avoir un gel total de la colonisation, dont Jérusalem, au cours des négociations. Une source palestinienne, en général fiable, me disait que le sénateur Mitchell avait remis à Abbas un document avec réponses, dont des assurances américaines selon lesquelles la construction à Jérusalem Est serait gelée pendant la période des négociations.

Si cela est vrai, je ne peux que formuler une hypothèse : Netanyahou était d’accord. Il est probable qu’il était également d’accord pour qu’Israël n’annonce pas publiquement cette décision. Encore une fois, si cela est exact, alors le fait d’avancer sur le projet de planification des 1 600 logements à Ramat Shlomo, et en même temps sur d’autres plans des commissions locales et régionales d’urbanisation, constituait directement un abus de confiance à l’égard des Etats-Unis. C’était donc plus grave qu’un simple dysfonctionnement bureaucratique, et donc qu’une simple baisse de la confiance entre les parties avant toute négociation. La profondeur de la crise ainsi créée déterminait aussi la profondeur des options politiques.

Il est certain que l’annonce faite par Netanyahou à la Knesset, devant le président du Brésil, que peu importait le dysfonctionnement et qu’Israël continuerait à construire partout à Jérusalem Est, était le signe clair de la décision de ce gouvernement d’aller au bras de fer avec Obama.

Cette annonce de Netanyahou suivait une conversation téléphonique de 43 mn avec Hillary Clinton, rapportée en détail par elle-même et par le Département d’Etat. Hillary Clinton a trois exigences envers Israël :
1/ le retrait du plan de 1 600 logements à Ramat Shlomo
2/ des gestes sérieux aux Palestiniens, comme des libérations de prisonniers et des levées de check points
3/ annoncer que tous les sujets concernant le règlement final seraient sur la table des négociations.
La déclaration de Netanyahou sur la poursuite de la construction à Jérusalem Est, après ces exigences américaines, est une attaque frontale et directe contre l’administration Obama, et ne peut être perçue autrement.

Si je lis correctement la carte politique, Netanyahou, en coordination avec ses alliés au Congrès, l’AIPAC et d’autres organisations juives, a décidé qu’Obama serait, pour ce qui les concerne, le président d’un seul mandat. En conséquence, ils cherchent à affaiblir le Président, quelles que soient les répercussions sur la scène internationale. Les élections de mi-mandat au Congrès ne sont que dans 8 mois, et la carte stratégiques des compétitions de congressmen clés a été tracée, avec le but de gagner les élections contre les membres du Congrès les plus pro-Obama et les plus menacés. (Il se peut que Netanyahou ait du mal à réussir dans ce projet. Cf. le récent [ [sondage réalisé par J Street auprès des juifs américains ]]

Ce défi posé au Président par le gouvernement israélien sur la construction à Jérusalem Est est un défi qui déterminera en grande partie la question de savoir si Obama est perçu en Israël, dans la région et dans le monde comme un fort ou un faible. Si l’administration américaine cède au gouvernement israélien, après avoir fait de Jérusalem une telle question d’importance, le prestige, la puissance et la force en souffriront sévèrement. Ironie de la chose : Israël a besoin d’un président américain fort pour s’attaquer à la communauté internationale sur l’Iran, et ce défi d’Israël pourrait en fait affaiblir les Etats-Unis et son président. Et le gouvernement israélien ne voit pas que c’est lui qui a grimpé trop haut sur l’échelle. En fait, on m’a posé la question deux fois ces deux derniers jours, par des proches conseillers de Netanyahou : « Qu’est-ce qui fera descendre les Palestiniens de l’échelle ? »

Pourquoi ce défi de Netanyahou ? D’une part, parce que c’est sa position idéologique. D’autre part, à cause des pressions de sa coalition, surtout de Lieberman et du Shass, qui ont fait du sujet d’Israël contre le monde entier la nouvelle vision du monde israélienne. Lieberman le dit tous les jours, jamais plus nous ne céderons à une quelconque pression internationale, nous forcerons le monde à respecter Israël ! Et du côté du Shass, qui connaît lui aussi une crise de leadership, Eli Yishaï bâtit son autorité sur la question de Jérusalem dont il veut paraître comme le protecteur juif. Troisièmement, il y a le scénario décrit ci-dessus d’une volonté d’affaiblir Obama et de s’assurer qu’il n’aura pas de second mandat.

Avec l’actuelle coalition en Israël, il n’y a absolument aucune chance d’avancer sur un processus de paix avec les Palestiniens. Et il n’est pas du tout certain qu’il soit possible d’avancer avec un Netanyahou au pouvoir. Mais on peut espérer que la même dynamique qui a joué pour d’autres dirigeants israéliens et les a menés à changer radicalement de position pourrait arriver à Netanyahou. Ainsi que l’ont déclaré Rabin, Sharon et Olmert, ce qu’on voit d’un endroit ne ressemble pas à ce qu’on voit de l’autre.

Où serait l’intérêt des Américains et que peuvent-ils faire ?

1. Reculer n’est pas une option. Si les Américains cédaient à la pression d’Israël, l’administration Obama serait considérée comme faible et sa politique incohérente et inefficace. Le prestige présidentiel serait mis à mal et Obama lui-même serait perçu comme un looser, ce qui aurait de profondes répercussions pour la politique étrangère américaine dans le monde entier, et en particulier au Moyen-Orient. Un recul américain renforcerait également le mythe du pouvoir du lobby juif aux Etats-Unis, ce qui pourrait provoquer directement une montée de l’antisémitisme dans le monde. Ainsi, il est essentiel pour le Président qu’Israël réponde au moins aux trois exigences d’Hillary Clinton. Il est d’ailleurs probable que sa position sortira renforcée de sa rencontre avec le Quartet, prévue aujourd’hui à Moscou.

2. Une recomposition du gouvernement israélien pourrait être une issue positive à la crise. Un gouvernement composé du Likoud (27 députés), de Kadima (28) et des travaillistes (13), avec au total 68 sièges, même avec quelques députés récalcitrants au Likoud ou au Kadima, pourrait en principe aller plus rapidement que la coalition actuelle. Avec Lieberman, le Shass, La Torah unifiée et Habayit HaYehudi dans l’opposition (il existe une possibilité que la Torah unifiée et ses 5 sièges restent dans la coalition), Netanyahou aurait bien plus de marge de manœuvre intérieure pour aller au processus de paix (s’il le veut, bien sûr). Il est possible que les Etats-Unis cherchent à faire avancer ce scénario, dans la coulisse, bien entendu. A ma connaissance, les Américains travaillent déjà à cette hypothèse.

3. Une troisième issue possible pourrait être l’ouverture d’un canal secret de négociations – mais seulement si Netanyahou est sérieux sur une possible avancée sur le processus de paix.
En fait cela serait recommandé même si les pourparlers indirects devaient démarrer. Mais comment surmonter l’impasse. Ici, je proposerais l’idée que je présentais déjà il y a des mois : un processus imposé et non une négociation sur le processus. En d’autres termes, les Américains présenteraient un document, en public ou en secret, qui reprendrait le processus de négociations, les paramètres de ce dont parleraient les parties et le mécanisme des pourparlers (directs ou indirects, ou passage de pourparlers indirects à directs). Ces paramètres devraient inclure des déclarations comme : les négociations seront menées en vue d’un accord définitif entre Israël et l’OLP, sur la base d’accords précédents qui produiront la cessation complète du conflit israélo-palestinien et se fonderont sur la formule « deux Etats pour deux peuples ». Ces négociations conduiront à la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël.

Sur le plan territorial, l’accord sera fondé sur la ligne Verte de l’armistice de 1949, avec des échanges de territoires sur le principe de 1 km2 pour 1 km2. Toutes les questions relatives à un accord final seront sur la table, dont Jérusalem, les frontières, les réfugiés, la sécurité, l’eau, les relations économiques, etc. Les Etats-Unis serviront de médiateur. Lorsque le médiateur le jugera nécessaire, il soumettra aux parties des propositions de conciliation. Les Etats-Unis s’engagent à ce que ces pourparlers débouchent sur une issue positive et considèrent cette issue positive comme l’un des objectifs politiques majeurs de l’administration Obama. La lettre d’invitation au premier round de ces pourparlers sera signée du président Obama lui-même. On verra bien si Netanyahou ou Abbas refusent de venir. (Il est essentiel que les Etats-Unis avertissent bien les parties des conséquences qu’aurait un refus).

4. Il y a également l’option Thomas Friedmann : laisser les parties mijoter dans leur jus. Il se pourrait bien que ce soit l’option préférée de l’administration Obama. Elle requiert un moindre effort, elle peut aussi se révéler la moins dommageable pour le prestige du président, mais c’est aussi l’option la plus dangereuse. Car il se développe, partout en Cisjordanie, une « Intifada blanche » de désobéissance civile massive et de confrontation directe avec l’occupation [cf. [ ]]. Il est très peu probable que cette nouvelle Intifada demeure non-violente, et il est plus que certain que l’armée y répondrait massivement par la force. Tout le projet du gouvernement de Salam Fayyad serait en danger et toutes ses réussites de ces deux dernières années s’évanouiraient du jour au lendemain. La droite israélienne monterait en puissance et les distances entre Israël et les Etats-Unis s’élargiraient encore.

5. Une autre option encore consisterait à soutenir plus fort qu’aujourd’hui le plan Fayyad et son gouvernement. Il existe des façons, pour les Etats-Unis, de soutenir Fayyad économiquement et politiquement. Cela enverrait un message très clair à Israël et au monde, et contribuerait à une avancée, même en l’absence de négociations. Les Etats-Unis pourraient exercer une pression sur Israël pour qu’il transfère davantage de zones C à l’Autorité palestinienne, et travailler avec le reste de la communauté internationale en préparant la Palestine à un Etat. Cela pourrait également avoir des conséquences internationales, comme un non-véto américain sur une résolution qui accorderait à la Palestine le statut de membre du Conseil de sécurité.

Pour les Etats-Unis, ne rien faire n’est pas une option. Il serait d’ailleurs avisé de le faire, quelle que soit l’option choisie, en collaboration avec tout le Quartet.