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Common Grounds News Service, 15 décembre 2005

trad. Tal Aronzon pour La Paix Maintenant


L’une des causes majeures du manque de confiance qui mena en définitive à l’échec des pourparlers de Camp David et au retour de la violence en septembre 2000 fut l’incapacité du processus d’Oslo à s’adresser à l’opinion publique. L’opinion israélienne est aujourd’hui otage des questions de sécurité, mais il n’y aura de sécurité véritable qu’avec une paix véritable, ce qui suppose un État palestinien souverain viable – c’est-à-dire jouissant de son intégrité territoriale. Quand, des deux côtés, l’opinion publique verra que chacun d’eux a le même besoin de sécurité, et le même besoin d’un État, la paix sera possible. Pour qu’un processus de paix puisse réussir, il faut aider l’opinion à comprendre l’évolution réelle de chacune des deux sociétés, et à considérer de nouveau les autres comme des êtres humains. Actuellement, les fausses impressions semblent dominer de part et d’autre, perpétuant ainsi les tensions symétriques et les sentiments de victimisation et d’insécurité.

De quelque côté que ce soit, une opinion publique négative exaspérant les peurs et les haines alimente le conflit et perpétue le cycle de la violence, au niveau du peuple comme des dirigeants. A l’inverse, dans cette petite région prompte aux revirements, une opinion publique privilégiant une juste résolution du conflit peut contribuer à pousser les dirigeants à un accord de paix. Etant donné l’équilibre des forces en présence, si puissamment en faveur d’Israël, l’opinion publique israélienne est l’une des clefs de la paix, et l’une des clefs essentielles pour accéder à cette opinion est l’idée qu’elle se fait de l’opinion publique palestinienne. Pour que l’opinion israélienne penche vers la paix, on doit la convaincre de l’existence d’un irrépressible et sincère désir de paix parmi les Palestiniens.

Alors que les restrictions de circulation en Cisjordanie et à Gaza empêchent de fait tout contact entre Israéliens et Palestiniens, à l’exception des plus déterminés, les médias jouent un rôle crucial dans la propagation et la manipulation des représentations et des opinions publiques dans ce conflit. Quand l’un ne lit venant de l’autre que des propos furieux, ou même anodins mais dépeints comme rageurs ou menaçants, la peur et la tension vont croissant. Les déclarations de Gazéens disant « l’an prochain en Cisjordanie » ont été décrites comme une menace, mais auraient tout aussi bien pu l’être comme un message d’espoir en un authentique règlement négocié – après tout, ils ne disaient pas « l’an prochain à Tel-Aviv », ils demeuraient strictement dans les limites de la feuille de route.

La presse israélienne peut s’emparer de la question du Hamas, ou bien rappeler à ses lecteurs que le président palestinien a été élu sur un programme de paix, et qu’au cours des deux années écoulées il s’est constamment élevé, en paroles comme en actes, contre la violence. Les élections palestiniennes ont montré une opinion publique puissamment favorable à une reprise du processus de paix. Voilà certainement l’occasion d’élaborer une paix globale sur le long terme plutôt qu’un simple désengagement de Gaza. Si l’on sait encourager les Israéliens à voir, non les souffrances liées au démantèlement des implantations, mais les chances pour eux d’une vie plus libre, plus paisible et moins empreinte de peur grâce à un désengagement clairement conçu comme une première étape, l’opinion publique aussi bien que les dirigeants palestiniens pourraient se sentir de nouveau partie prenante d’un processus de paix, plutôt que victimes d’un désengagement unilatéral.

Il appartient au cercle vicieux des conflits que des aspects négatifs, telle l’agression, soient aisément projetés sur l’autre, aggravant ainsi la radicalisation et la diabolisation (nous sommes tous bons, les autres tous mauvais…) tandis que les deux parties se réfugient dans des forteresses mentales collectives. Cette polarisation se reflète et s’amplifie au sein des opinions publiques, rendant plus difficile aux uns et aux autres de se voir mutuellement comme des êtres humains, et donc comme des partenaires de paix en puissance. Aussi l’un des préalables à la paix est-il de passer de l’autre côté du miroir et de ramener l’opinion à la réalité, loin des projections et des reflets. La réalité est que, depuis 2003, les opinions publiques des deux côtés se sont déclarées (à plus de 72%) en faveur de la paix à peu près sur les mêmes bases – les frontières de 67, se partager Jérusalem, etc. – mais l’obstacle principal demeure l’idée que chacun se fait de l’opinion publique de l’autre.

La société palestinienne a connu une mutation ces dernières années, il y a une vague d’intérêt pour la non-violence, mais combien de gens, et en particulier combien d’Israéliens le savent ? L’impact du stéréotype négatif selon lequel tous les Palestiniens sont violents compte parmi les plus importants dans l’opinion publique tant israélienne qu’internationale (en faveur d’Israël dans un rapport de 4 à 1). Pourtant, la déclaration appelant à la fin du bain de sang et à une nouvelle intifada non-violente, signée à la suite de l’assassinat de Cheikh Yassine, en mars 2004, par plus de 150 notables palestiniens du courant dominant, est un cri du cœur de la société palestinienne pour l’arrêt de la violence, mentionnant spécifiquement la fin des attentats suicide. Fait significatif, après cette déclaration, ces attentats cessèrent six mois durant. On aurait pu faire usage de cette proclamation pour convaincre l’opinion israélienne qu’elle avait effectivement un, et même de nombreux, partenaires de paix. Grâce à cette perception nouvelle et positive de l’opinion palestinienne, les Israéliens auraient pu lancer un vibrant appel à la paix, donnant des deux côtés aux dirigeants le feu vert de leurs opinions publiques respectives pour faire de vrais progrès sur la voie de la paix.

Les médias peuvent et devraient corriger les fausses impressions de l’opinion publique en parlant du commun désir de paix et en atténuant les peurs au lieu de les attiser ; en crédibilisant les voix qui s’élèvent contre la violence et l’exploitation du conflit ; et, par-dessus tout, en montrant à chacun la dimension humaine de l’autre, en des termes qu’ils puissent tous deux entendre.