L’importance des budgets exigés par les implantations comparée à la disparition de l’État-providence au sein de la Ligne verte se fait de plus en plus évidente aux yeux des leaders de la contestation sociale, qui réclament un partage différent des ressources et des charges.

Il n’est gouvernement qui tienne, en Israël, dès qu’il s’agit de l’avenir des Territoires et des implantations qui s’y construisent. La résidence du “Caveau des Patriarches” à Hébron, l’avant-poste de Migron, le quartier d’Oulpana à Beith-El, et des dizaines d’autres avant-postes et colonies en portent tous témoignage.

Ainsi le cabinet de Benjamin Netanyahu a-t-il imité ses prédécesseurs et essayé de tenir le manche par les deux bouts. Ils affirment d’un côté être prêts à se séparer des Palestiniens dans les régions nord et sud de la Cisjordanie, de même qu’à Gaza ; de l’autre ils renforcent leur emprise sur les implantations dans les Territoires.

Mais cette attitude, dans le contexte de la nouvelle réalité politique, militaire et juridique sous leur contrôle, a fait des implantations, aujourd’hui plus que jamais, l’odieux couteau du sacrifice du concept de deux États ; du statut d’Israël sur l’échiquier diplomatique et de sa posture éthique ; de la force souveraine de la loi ; de la mission et de l’image de l’armée.

Les gouvernements du Maârakh conduits par Lévi Eshkol, Golda Meïr puis Yitzh’ak Rabin [1] furent les premiers à fonder des colonies, qu’ils entendaient employer à délimiter les frontières d’Israël. Tout en s’inclinant peu ou prou devant l’exigence formulée par les dirigeants des colons, H’anan Porat et Moshé Levinger, de « débarrasser la terre de ses habitants (palestiniens) », ils se fixèrent pour règle de veiller à ce que la construction d’implantations se limite aux environs de Jérusalem et à la vallée du Jourdain, définies comme des zones de sécurité dans le plan Allon [2].

Comparé à ses prédécesseurs, le gouvernement Netanyahu n’a posé aucune politique délimitant où il est possible de bâtir ou non : le périmètre de construction sous forme d’implantations isolées est plus étendu que celui des grands blocs que le gouvernement prévoit de conserver dans le cadre d’un accord définitif.

Le “blanchîment” des avant-postes et la construction de quartiers neufs dans la partie orientale de Jérusalem autorisent la communauté internationale et les Palestiniens à douter de la bonne foi du gouvernement israélien ; il est en effet de notoriété publique que l’un des obstacles majeurs à une décision israélienne d’aller à l’accord de paix est le coût économique et social redouté de l’évacuation d’un grand nombre de colons.

Les premiers à tirer prétexte de considérations de sécurité pour prendre le contrôle de propriétés privées palestiniennes afin d’y fonder des colonies furent les gouvernements d’union de la gauche. En 1979, un arrêt de la Cour suprême concernant Élon Moreh [3] donna un coup de frein à l’usage de ce prétexte, d’autant que les colons eux-même avaient reconnu que « les implantations ne répondent ni à des impératifs de sécurité ni à des besoins matériels ».

Cependant, en dépit du fait que les présidents Clinton, Bush et Obama n’ont justifié la nécessité de procéder à des échanges de territoires qu’au seul et unique motif d’un « accroissement démographique naturel » au sein des implantations, Netanyahu persiste à les évoquer en termes de « sécurité ». Il refuse également aux Palestiniens des compensations équivalentes aux annexions de territoire en faveur des implantations, revenant ainsi sur le principe au fondement des négociations – « les lignes de 1967 comme base de tracé des frontières et des échanges de territoires dans un rapport de 1/1 ».

Les précédents gouvernements ont appuyé une entreprise de colonisation forte en tout et pour tout de quelques dizaines de milliers de membres, des agriculteurs et des salariés pour la plupart ; alors que celui-ci doit faire vivre quelque 350 000 Israéliens en Judée et Samarie, et 200 000 de plus à Jérusalem-Est. Nombre d’entre eux – les ultra-orthodoxes, nouveaux immigrants et catégories défavorisées – dépendent des allocations de l’État et, comme tous les colons, bénéficient en matière d’éducation, de santé et d’aides sociales d’un soutien per capita bien supérieur à celui dont jouissent leurs concitoyens à l’intérieur de la Ligne verte [4].

Rapportée à la disparition de l’État-providence à l’intérieur des frontières d’Israël, l’importance des budgets exigés se fait évidente aux yeux des leaders de la contestation sociale, qui réclament un partage différent des ressources et des charges.

Soulignons l’alignement des ministres sur les positions officielles, qui tint le temps de leur volonté de préserver la coalition. Mais, dans le fumet des élections qui s’annoncent et sur fond d’engagements pris par le gouvernement envers la Cour suprême d’évacuer trois avant-postes [5], leurs opinions se sont soudain affichées, montrant que le discours de Netanyahu à Bar-Ilan [6] est loin de les représenter.


Notes

[1] Un premier Maârakh, issu en 1965 de l’union des deux principales formations social-démocrates du pays, disparut dès 1968 au profit d’un nouveau Parti travailliste incluant un troisième petit groupe, le Rafi… pour mieux renaître de ses cendres un an plus tard en s’alliant sur sa gauche au Mapam en vue de constituer une large coalition. Les conditions étaient dès lors réunies pour les gouvernements d’union de la gauche des années 70, ceux de Lévi Eshkol, Golda Meïr et Yitz’hak Rabin, ici cités.

[2] Élaboré dès 1968 par Ygal Allon, alors ministre des Affaires étrangères, ce plan proposait de mettre fin à l’occupation toute récente de la Cisjordanie tout en y conservant des points stratégiques – contrôle de la vallée du Jourdain et des hauteurs qui la dominent ; élargissement du couloir du Jourdain à Jérusalem ; trois enclaves, dont deux sans accès extérieur… Soit, en tout, quelque 30% de la « Rive occidentale du Jourdain ». Rendu public 6 ans plus tard, ce plan dont les considérations de sécurité constituent une bonne part refait régulièrement surface – en partie sinon en totalité.

[3] Après de multiples tentatives d’implantation dans la région de Sch’em dès 1970, les colons d’Élon Moreh en firent quelques autres, dans les environs de Naplouse, en Cisjordanie du nord. En 1979, une injonction de la Cour suprême, présidée par le juge Moshé Landau, déclara illégale cette nouvelle tentative pourtant entérinée par le gouvernement de Menah’em Begin : les terres étant privées, l’armée ne pouvait les confisquer que pour répondre à des impératifs militaires, en aucun cas pour y loger des civils.

[4] La Ligne verte délimite les frontières de l’État d’Israël telles qu’elles existaient à la veille de la guerre des Six Jours.

5] Élections qui ne sont plus à l’ordre du jour, une nouvelle et large majorité s’étant constituée suite à l’alliance-surprise récemment intervenue entre le Likoud et Kadimah ; quant au respect de cet arrêt de la Cour suprême, nous renvoyons les lecteurs intéressés au récent article d’Ilan Rozenkier sur notre site : [

6] Extrait du discours prononcé par Benjamin Netanyahu au centre Begin-Sadate de l’université Bar-Ilan, traduction mise en ligne sur le site du Réseau Voltaire le 14 juin 2009 ([) :

« Comme le proclama dans la Déclaration d’Indépendance le premier chef de gouvernement israélien, le Premier ministre David Ben-Gourion : Éretz Israel est le lieu où naquit le peuple juif. C’est là que se forma son caractère spirituel, religieux et national. C’est là qu’il réalisa son indépendance, créa une culture à la fois nationale et universelle, et fit don de la Bible au monde entier. Pour autant, nous ne devons pas dissimuler une partie de la vérité : dans cette patrie vit une grande communauté palestinienne. Nous ne souhaitons ni les dominer, ni régir leur existence, pas plus que leur imposer notre drapeau et notre culture. Dans ma perception de la paix, dans ce petit pays qui est le nôtre, deux peuples vivent librement, côte à côte, dans la concorde et le respect mutuel. Chacun possède son drapeau, son hymne national, son propre gouvernement. Aucun ne menace l’existence et la sécurité de son voisin. »

Ce credo inhabituel dans la bouche du Premier ministre ne constitue certes que l’un des versants du programme énoncé en 2009. Versant que nous ne saurions trop lui rappeler quand bien même il déplairait – en silence ou non – à une partie de son cabinet.